Devoirs de vigilance et de-risking : commentaires et recommandations de la BNB
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi anti‑blanchiment, la BNB a constaté la multiplication d’actions de de-risking menées par des institutions financières relevant de ses compétences de contrôle, en invoquant principalement des raisons liées à la LBC/FT.
Par « de-risking », on entend ici la décision de principe, prise a priori par une institution financière, de refuser l’entrée en relations d’affaires avec des clients potentiels ou de mettre un terme aux relations d’affaires existantes avec ses clients actuels au motif que ces clients potentiels ou existants appartiennent à une catégorie de personnes à laquelle l’institution financière estime que sont associés des risques excessifs de BC/FT, au regard notamment de son appétence au risque ou du dispositif de LBC/FT qu’elle a mis en place. La BNB constate qu’un nombre important d’entreprises et de professionnels issus de divers secteurs ont été confrontés à ce phénomène. Actuellement, la BNB observe que la pratique du de-risking est principalement le fait d’institutions financières issus du secteur bancaire, mais il n’est pas exclu qu’un tel phénomène se répande également au sein des autres secteurs financiers sous contrôle de la BNB.
Si les décisions de ne pas établir ou de mettre fin à une relation d'affaires, ou de ne pas effectuer une transaction, peuvent être conformes aux exigences de la Loi anti-blanchiment, le de-risking de catégories entières de clients, sans tenir dûment compte des profils de risque des clients individuels, est un signe de gestion inefficace du risque de BC/FT et peut avoir un impact significatif.
En sa qualité d’autorité de contrôle désignée par l’article 85, § 1er, 3°, de la Loi anti-blanchiment, la BNB estime qu’il est essentiel que les institutions financières qui relèvent de ses compétences de contrôle mettent effectivement en œuvre des mécanismes efficaces de prévention et de gestion des risques de BC/FT.
Elle reconnait également que les relations d’affaires qui unissent une institution financière avec ses clients sont essentiellement régies par le principe de la liberté contractuelle qui, sauf exceptions légales, ne permet pas d’imposer à une partie (en l’occurrence, une institution financière) de s’engager dans les liens d’une relation contractuelle à laquelle elle n’aurait pas librement consenti. La BNB rappelle que le champ d'application des présents commentaires et recommandations est limité au cadre du phénomène de de-risking résultant de la mise en œuvre inadéquate, par les institutions financières, de leurs obligations découlant des dispositions légales et réglementaires applicables en matière de LBC/FT.
Elle rappelle que l’application effective de la loi et de la réglementation anti-blanchiment ne les dispense pas pour autant de se conformer pleinement et simultanément à d’autres législations impératives ou d’ordre public qui s’imposent également à elles (voir la page « Devoirs de vigilance et respect d’autres législations »). Tel est le cas, entre autres, de la législation relative à la lutte contre les discriminations, de l’article VII 55/12 du Code de droit économique, qui octroie aux établissements de paiement un accès objectif, non discriminatoire et proportionné aux services de comptes de paiement des établissements de crédit ainsi que des dispositions du livre VII, titre 3, chapitre 8 du Code de droit économique relatives à l’accès aux comptes de paiement et au service bancaire de base.
Elle souligne par ailleurs qu’il est également attendu des institutions financières qu’elles assument avec la plus grande efficacité possible, sans préjudice des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables, leur responsabilité spécifique dans le développement économique de la société.
Bien que certaines institutions financières aient pu s’efforcer de justifier, dans le cadre de la mise en œuvre de leur procédure d’acceptation de nouveaux clients ou de rupture de relations d’affaires existantes, leurs comportements restrictifs et défensifs par leur volonté de gérer de manière stricte le risque de réputation auquel elles sont exposées, il y a lieu de relever que ces mêmes comportements peuvent porter atteinte à leur réputation dans la mesure où il pourrait leur être reproché, de ce fait, de ne pas assumer pleinement ou de manière satisfaisante leurs responsabilités sociétales spécifiques, voire de promouvoir des comportements discriminatoires dans l’exercice de leurs activités, de constituer un frein au développement économique et à l’inclusion financière, de participer à la déstabilisation du système financier ou de méconnaître certaines de leurs obligations légales d’ordre public.
De plus, lorsque les institutions financières adoptent de tels comportements restrictifs et défensifs, elles peuvent ne pas contribuer de manière efficace à la prévention du BC/FT, mais refouler en dehors de tout contrôle des opérations qui y sont potentiellement liées.
La BNB attend dès lors des institutions financières qui relèvent de ses compétences qu’elles veillent avec soin à définir et à mettre en œuvre des politiques équilibrées de LBC/FT qui, tout en garantissant une application effective des obligations énoncées par ou en vertu de la Loi anti-blanchiment, leur permettent également de respecter l’ensemble de leurs autres obligations légales d’ordre de public ou impératives et d’assumer l’ensemble de leurs responsabilités sociétales spécifiques.
Se fondant sur l’article 86, § 2, 1°, de la Loi anti-blanchiment, la BNB entend adresser ici aux institutions financières qui relèvent de ses compétences les commentaires et recommandations qui lui paraissent utiles pour les assister dans la recherche de cet équilibre.
Ces commentaires et recommandations tiennent pleinement compte des communiqués publiés par le GAFI les 23 octobre 2014, 26 juin 2015 et 23 octobre 2015 concernant spécifiquement le phénomène de de-risking, ainsi que des diverses « Orientations » (« Guidance ») dans le cadre desquelles il a clarifié la portée des obligations de vigilance fondée sur les risques des institutions financières et pris position à l’égard de la problématique du de-risking.
Il est renvoyé en particulier aux orientations suivantes:
- Guidance dated 4 November 2017 on AML/CFT measures and financial inclusion, with a supplement on customer due diligence
- Guidance dated 21 October 2016 on Correspondent Banking
- Guidance dated 23 February 2016 for a Risk-Based Approach for Money or Value Transfer Services
- Guidance dated 27 October 2014 for a Risk-Based Approach for the Banking Sector
- Guidance dated 23 October 2015 for a Risk-Based Approach: Effective Supervision and Enforcement by AML/CFT Supervisors of the Financial Sector and Law Enforcement
Ces commentaires et recommandations tiennent également pleinement compte des publications de l’Autorité bancaire européenne (ABE) relatives au de-risking, à savoir:
- EBA Opinion and Report dated 22 January 2022 on de-risking and its impact on access to financial services ;
- Les dispositions préexistantes dans les instruments de l'ABE qui contribuent à répondre aux principaux facteurs de décision en matière de de-risking (cf. liste en pages 29 et suiv. du rapport précité de l’ABE).
La BNB invite instamment les institutions financières à en prendre connaissance et à tenir compte des publications susvisées dans la mise en œuvre de leurs obligations légales de prévention du BC/FT.
1. La portée de l’évaluation globale des risques et de la politique d’acceptation des clients
Il apparaît que certaines institutions financières se sont efforcées de justifier leur refus d’entrer en relations d’affaires avec certains clients au motif que leur politique d’acceptation des clients interdirait de nouer des relations d’affaires avec des personnes relevant de la catégorie à laquelle appartient le client potentiel concerné. A cet égard, il y a lieu de rappeler ce qui suit.
Par application de l’article 7 de la Loi anti-blanchiment, les entités assujetties, parmi lesquelles les institutions financières, sont tenues de mettre en œuvre de manière différenciée en fonction de leur évaluation des risques de BC/FT les mesures de LBC/FT requises par cette loi, en particulier, les mesures de vigilance à l’égard des opérations et des relations d’affaires.
Pour ce faire, les entités assujetties sont tenues de procéder à une « évaluation globale des risques » conformément à l’article 16 de la Loi anti-blanchiment, prenant en compte des facteurs de risques relatifs aux clients, aux produits et services offerts, aux canaux de distribution et aux zones géographiques concernées (voir la page Approche fondée sur les risques et évaluation globale des risques).
Il est donc non seulement approprié, mais requis que, sur la base de leur évaluation globale des risques, les entités assujetties procèdent à la classification en fonction des risques de BC/FT des différentes catégories de clients auxquelles elles offrent leurs services et produits financiers en tenant compte de leurs caractéristiques générales (personnes physiques ou personnes morales, résidence en Belgique ou à l’étranger, secteur économique d’activité, sources de leurs revenus ou de leur fortune, etc.). Cette classification de la clientèle, combinée à celle qui résulte des autres facteurs de risques relatifs notamment aux produits ou services financiers demandés, au canal de distribution utilisé ou aux zones géographiques avec lesquelles les clients ou leurs opérations ont des liens, doit leur permettre d’établir, conformément à l’article 4 du Règlement BNB anti-blanchiment, une classification des risques appropriée pour tenir compte des caractéristiques de l’ensemble de activités exercées.
L’objectif de la classification des risques consiste à ce que les institutions financières soient en mesure d’appliquer dans chaque situation concrète qui se présente à elles des mesures de vigilance appropriées (voir la page Classification des risques). Fondée sur l’évaluation globale des risques, la classification des risques fournit la base permettant à chaque institution financière de définir des politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne différenciées en fonction des risques, comme requis par l’article 8 de la Loi anti-blanchiment (voir la page Politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne).
En particulier, selon les recommandations de la BNB, les politiques de LBC/FT des institutions financières doivent notamment comprendre une « politique d’acceptation des clients » qui « vise essentiellement à déterminer, au plan des principes, les conditions relatives à la limitation des risques de BC/FT auxquelles l’institution financière s’astreint pour accepter d’entrer en relations d’affaires avec ses clients ou d’intervenir dans l’exécution d’opérations occasionnelles pour ses clients. Cette politique d’acceptation des clients doit permettre de tenir adéquatement compte de l’évaluation globale des risques et de la variété, du point de vue notamment de la nature et de l’intensité, des risques recensés, telle que cette variété doit se refléter dans la classification des risques. Elle doit permettre de la sorte de définir des procédures et modalités appropriées d’entrée en relation ou d’exécution d’opérations avec ou pour ces clients. »
Il est envisageable que l’acceptation de certaines catégories de clients présentant des risques élevés de BC/FT soit conditionnée par la mise en œuvre de mesures spécifiques de réduction de ces risques. Les mesures de réduction des risques peuvent viser (sans être ici exhaustif) :
- à fournir à l’institution financière de meilleures garanties quant à l’honnêteté de la démarche du client d’une manière générale (par ex. l’engagement formel du client à respecter le droit du travail et le droit social en Belgique ou encore la communication d’un extrait du casier judiciaire qui doit être vierge de toute condamnation récente pour l’une des criminalités sous-jacentes au BC/FT, telles qu’énumérées par la Loi anti-blanchiment) ;
- à fournir à l’institution financière des garanties d’honnêteté et de transparence dans la conduite des opérations du client (par ex. en exigeant une documentation des opérations, comme une copie de la facture à payer, voire un document émanant du commissaire réviseur du client certifiant qu’il a examiné de manière attentive l’opération concernée et qu’il n’y a détecté aucun indice de BC/FT) ;
- à adapter, sans préjudice d’autres dispositions légales applicables, l’offre de produits et de services adressée aux clients auxquels un risque élevé est associé, en limitant ou excluant de cette offre les produits et services identifiés dans le cadre de l’évaluation globale des risques comme étant ceux les plus susceptibles d’être utilisés à des fins de BC/FT ;
- à faciliter la compréhension et la gestion des risques de BC/FT par la voie de mesures organisationnelles (par ex. en centralisant, dans un centre d’expertise, la gestion des relations d’affaires avec certaines catégories de clients).
Dans le cadre de ces mêmes recommandations, la BNB a tenu à souligner que « la politique d’acceptation des clients vise essentiellement à encadrer le processus décisionnel quant à l’entrée en relation d’affaires ou à l’exécution de l’opération occasionnelle, et quant à la nature et à l’intensité des mesures de vigilance à mettre en œuvre. Néanmoins, ces décisions ne peuvent résulter de manière automatique de la politique d’acceptation des clients, mais nécessitent une évaluation individuelle des risques effectuée conformément à l’article 19 de la loi anti-blanchiment et permettant de tenir adéquatement compte des spécificités éventuelles de chaque cas considéré. » Elle y précise également que cette politique devrait notamment comprendre l’énumération des critères généraux de répartition des clients dans les différentes catégories de risques, et les principes d’attribution différenciée du pouvoir de décider de nouer la relation d’affaires ou d’effectuer l’opération souhaitée par le client à des personnes d’un niveau hiérarchique adéquat au regard de chaque catégorie de risques (Voir le point 2.1.2. des Commentaires et recommandations de la BNB concernant les Politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne).
La BNB confirme par conséquent qu’il n’est pas approprié, ni conforme avec les exigences légales et réglementaires en matière de LBC/FT, que la politique d’acceptation des clients d’une institution financière érige en règle l’exclusion de toute relation d’affaires avec des clients potentiels ou existants sur la base de critères généraux tels que, entres autres, leur appartenance à un secteur économique déterminé ou un lien avec un pays à haut risque (sans préjudice d’autres dispositions légales éventuellement applicables ou des mesures d’application des dispositions contraignantes en matière d’embargos financiers).
Ainsi, par exemple, la BNB estime qu’il serait inapproprié et non conforme avec les dispositions légales et réglementaires en matière de LBC/FT que la politique d’acceptation des clients d’un établissement de crédit « généraliste », dont l’offre de services inclut l’offre de comptes de paiement à l’ensemble de sa clientèle interdise a priori l’offre de ce service à certaines catégories de personnes physiques ou morales sur la base de leur appartenance à un secteur économique déterminé.
Elle invite dès lors les institutions financières dont la politique d’acceptation comprendrait de telles dispositions à les abroger dans les meilleurs délais.
2. L’évaluation individuelle des risques et le refus d’entrée en relation d’affaires pour des raisons liées au BC/FT
Il apparaît que certaines institutions financières se sont efforcées de justifier leur refus d’entrer en relations d’affaires avec certains clients en affirmant que la Loi anti-blanchiment leur interdirait de nouer de telles relations d’affaires lorsque des risques élevés de BC/FT y sont associés.
La BNB insiste sur le fait que la Loi anti-blanchiment ne formule pas une telle interdiction, mais qu’elle exige que l’institution financière mette en œuvre des mesures de vigilance renforcée dans les situations dans lesquelles elle identifie des risques élevés de BC/FT. A cet égard, la BNB rappelle ce qui suit.
Conformément à l’article 19 de la Loi anti-blanchiment, les institutions financières sont tenues de procéder à une « évaluation individuelle des risques » dès l’entrée en relation d’affaires avec un client ou lorsque celui-ci les sollicite pour l’exécution d’une opération occasionnelle d’un montant égal ou supérieur à 10.000 euros. Cette évaluation individuelle des risques doit permettre à l’institution financière concernée de déterminer, conformément à sa politique d’acceptation des clients, la portée et l’intensité des mesures de vigilance mises en œuvre, en fonction des risques de BC/FT spécifiquement associés au client concerné.
Pour rappel, les mesures de vigilance requises consistent à :
- Identifier et vérifier l’identité du client ainsi que, le cas échéant, de son ou ses mandataires et de son ou ses bénéficiaires effectifs ;
- Évaluer les caractéristiques du client et l’objet et la nature envisagée de la relation d’affaires ou de l’opération occasionnelle ; et
- Exercer une vigilance continue à l’égard de la relation d’affaires et des opérations du client.
Certaines décisions de de-risking ont notamment pu trouver leur origine dans une interprétation inadéquate de la portée de ces obligations de vigilance, en particulier dans le cadre des activités de correspondance bancaire ou à l’égard des établissements de paiement. De même que le GAFI l’a lui-même souligné (cf. Guidance dated 21 October 2016 on Correspondent Banking, p. 3), la BNB confirme à cet égard que lorsque le client est une autre institution financière, les obligations de vigilance portent sur cette institution financière en sa qualité de client, et n’incluent pas de mettre en œuvre des mesures de vigilance à l’égard des clients de cette institution financière cliente (« KYCC »). A cet égard, il est renvoyé au commentaire de l’article 23 de la Loi anti-blanchiment dans ses travaux préparatoires qui précisent explicitement ce qui suit : « Lorsque des opérations ont pour but de permettre à un établissement financier de fournir effectivement à sa propre clientèle les produits et services qu’il lui propose, ces opérations sont à considérer comme des opérations pour le compte propre de l’établissement financier, et non pour le compte de ses clients. Dans ce cas en effet, ceux-ci n’ont pas la possibilité de déterminer quelque modalité que ce soit de ces opérations. Ainsi en est-il par exemple lorsqu’un établissement de crédit contracte des emprunts interbancaires pour financer son portefeuille de crédits ou lorsqu’il recourt aux services de compensation/liquidation prestés par un autre établissement financier pour assurer la bonne exécution des services qu’il propose à ses clients en matière de paiements ou d’opérations sur titres. » (Chambre des représentants, 2016-2017, DOC 54 2566/001, p.109. Cf. sur le site internet LBC/FT : Exposé des motifs de la Loi anti-blanchiment, article 23, point A3 : Art. 21 à 25).
L’absence d’obligation légale systématique de KYCC n’exclut pas l’examen d’opérations atypiques effectuées par l’institution financière cliente conformément à l’article 45 de la Loi anti-blanchiment afin de déterminer si elles sont suspectes d’être liées au BC/FT (par exemple en raison d’une augmentation significative et non prévue du montant des opérations effectuées par l’institution financière cliente, des contreparties ou bénéficiaires de ces opérations, de leur pays d’établissement, etc.). Dans ce cas, il peut être demandé à l’institution financière cliente, par application du § 1er, alinéa 2, de l’article 45 de la Loi anti-blanchiment, des informations complémentaires concernant les opérations de ses clients qui sous-tendent l’opération atypique décelée. Il est renvoyé à cet égard à la page « Analyse des faits et opérations atypiques ». L’attention est attirée sur le commentaire de cette disposition dans l’exposé des motifs de la Loi anti-blanchiment qui précise ce qui suit : « Néanmoins, les informations dont il dispose de la sorte peuvent être insuffisantes pour lui permettre de décider s'il existe des soupçons de BC/FT. Dans ce cas, l'alinéa 2 du paragraphe 1er impose à l’entité assujettie de prendre (à l’initiative de son AMLCO) les mesures complémentaires à celles déjà appliquées dans le cadre de la vigilance constante qui s’avèrent nécessaires pour pouvoir apprécier si ces opérations ou activités semblent ou non suspectes. » (Chambre des représentants, 2016-2017, DOC 54 2566/001, p.155. Cf. sur le site internet LBC/FT : Exposé des motifs de la Loi anti-blanchiment, Art. 45 et 46).
La crainte a également été exprimée que, lorsqu’inversement, une institution financière belge entretient des relations de correspondance bancaire en qualité de banque cliente d’un établissement correspondant étranger, celui-ci refuse la relation d’affaires ou y mette un terme au motif que l’institution belge accepte de servir des clients présentant un profil de risque élevé de BC/FT, et que cette institution belge puisse perdre de la sorte son accès au marché de la devise du pays tiers concerné. La BNB relève cependant que, bien davantage que le profil de risque de la clientèle de l’institution cliente, ce sont la qualité et l’efficacité des mesures de vigilance mises en œuvre par cette institution cliente, tenant compte du profil de risque sa clientèle, qui sont analysées par la banque correspondante (en recourant, par exemple, au « Wolfsberg Group Correspondent Banking Due Diligence Questionnaire » qui se focalise très largement sur les mesures de prévention du BC/FT mises en œuvre par la banque cliente), dans le but de s’assurer autant que possible que les éventuels flux de capitaux d’origine criminelle soient identifiés et dénoncés par la banque cliente aux autorités compétentes locales avant d’être injectés dans la relation de correspondance bancaire.
En vue d’une mise en œuvre adéquate de l’ensemble des obligations de vigilance en fonction des risques, et au-delà des critères de risques identifiés de manière générale par l’évaluation globale des risques et qui se reflètent dans la politique d’acceptation des clients, l’évaluation individuelle des risques doit permettre à l’institution financière de tenir compte de caractéristiques qui sont spécifiques au client (par exemple, lorsque le client est un professionnel lui-même exposé au risque d’être utilisé par des tiers à des fins de BC/FT, la qualité des mesures qu’il a lui-même mises en œuvre pour gérer et réduire ce risque), au produit ou service demandé (par exemple, les modalités ou conditions particulières demandées par le client), au canal de distribution (par exemple, les circonstances particulières qui entourent la demande d’entrée en relation d’affaires) ou aux liens éventuels avec des zones géographiques à risque (par exemple, la nature et l’intensité de ces liens). Cette évaluation individuelle des risques doit permettre, soit de confirmer le niveau de risque qui est déterminé sur la base des critères de risques identifiés de manière générale pour l’ensemble des clients, soit d’abaisser ou de relever ce niveau de risque lorsque des informations spécifiques au cas d’espèce l’imposent.
L’article 19, § 2, alinéa 2, de la Loi anti-blanchiment précise que, lorsque l’évaluation individuelle des risques associés à une relation d’affaires amène l’institution financière à identifier des risques élevés, cette institution est tenue de prendre des mesures de vigilance accrue.
Pour plus de détails relatifs à l’évaluation individuelle des risques, il est renvoyé à la page Evaluation individuelle des risques, et notamment aux Orientations de l’ABE du 1er mars 2021 sur les facteurs de risque et aux Commentaires et recommandations de la BNB qui y sont publiés.
Dans ce contexte, la BNB relève que la Loi anti-blanchiment ne prévoit l’interdiction de nouer ou de maintenir la relation d’affaires que dans un nombre limité d’hypothèses, à savoir:
- Lorsque les entités assujetties ne peuvent pas satisfaire à leurs obligations d’identification et de vérification de l’identité du client, ou, le cas échéant, de ses mandataires ou de ses bénéficiaires effectifs (article 33, § 1er, alinéa 1er, de la Loi anti-blanchiment),
- Lorsqu’elles ne peuvent pas satisfaire à leur obligation d’évaluer les caractéristiques du client et l’objet et la nature de la relation d’affaires (article 34, § 3, alinéa 1er, de la Loi anti-blanchiment), et
- Lorsqu’elles ont des raisons de considérer qu’elles ne pourront pas satisfaire:
- à leur obligation de soumettre à un examen attentif les opérations effectuées pendant la durée de la relation d’affaires, ainsi que, si nécessaire, l’origine des fonds, ou
- à leur obligation de mise à jour des données d’identification du client et de ses mandataires et bénéficiaires effectifs éventuels, ainsi que des autres informations recueillies et qui sont nécessaires à l’évaluation des caractéristiques du client et de l’objet et de la nature de la relation d’affaires
(article 35, § 2, alinéa 1er, de la Loi anti-blanchiment).
En conséquence, la BNB considère que le refus d’entrée en relation d’affaires, sur base de la Loi anti-blanchiment, n’est requis par les dispositions légales rappelées ci-dessus que dans les situations dans lesquelles l’institution financière concernée peut justifier qu’elle se trouve dans l’impossibilité de satisfaire aux obligations de vigilance concernées.
Ces interdictions ne trouvent en revanche pas à s’appliquer au seul motif qu’à l’issue de son évaluation individuelle des risques, l’institution financière a déterminé que des risques élevés de BC/FT sont associés à la relation d’affaires, de sorte que la mise en œuvre de mesures de vigilance renforcée est requise par la loi.
Lorsque le service ou le produit financier pour lequel l’institution financière est sollicitée par le client est cohérent avec l’offre ordinaire de services et de produits financiers de cette institution financière, celle-ci doit obligatoirement disposer, par application de l’article 8 de la Loi anti-blanchiment, de l’organisation et des dispositifs de contrôle interne en matière de LBC/FT qui sont appropriés au regard de son « modèle d’entreprise ». Ce dispositif interne de LBC/FT doit lui permettre de gérer adéquatement toutes les situations de risque de BC/FT qui peuvent se présenter à elle dans le cadre des activités qui relèvent de son « modèle d’entreprise », en ce compris les situations de risques élevés. Dans un tel contexte, la BNB considère que le seul fait que la mise en œuvre des mesures renforcées impose à l’institution financière d’accomplir des travaux additionnels ou plus intensifs que dans le cas de risques plus ordinaires en vue de satisfaire à ses obligations de vigilance ne constitue pas une impossibilité imposant à l’institution financière de refuser l’entrée en relation d’affaires.
En revanche, lorsque la relation d’affaires demandée par le client n’est pas cohérente avec l’offre ordinaire de services ou de produits financiers qui relèvent de son « modèle d’entreprise » ou de sa stratégie commerciale, l’exercice effectif des devoirs de vigilance précités peut requérir d’apporter des modifications substantielles à son organisation et à ses mesures de contrôle interne. Lorsque ces modifications ne sont pas justifiées au regard du « modèle d’entreprise » de l’institution financière concernée, la BNB estime que l’impossibilité de satisfaire aux obligations précitées de vigilance peut résulter de ce que l’institution financière ne peut raisonnablement pas se doter de l’organisation et des mécanismes de contrôle interne qui seraient appropriés pour gérer les risques de BC/FT qui sont spécifiques à cette relation d’affaires qui est étrangère à son « modèle d’entreprise ».
La BNB rappelle en outre que, lorsqu’ une institution financière se trouve dans l’obligation, par application des articles précités de la Loi anti-blanchiment, de refuser l’entrée en relation d’affaires souhaitée par le client, cette institution se trouve simultanément dans l’obligation d’examiner, conformément à l’article 46 de la loi, si les causes de l’impossibilité de satisfaire aux obligations de vigilance sont de nature à susciter un soupçon de BC/FT et s’il y a lieu d’en informer la CTIF. Il est renvoyé à cet égard à l’article 33, § 1er, alinéa 2, à l’article 34, § 3, alinéa 2, et à l’article 35, § 2, alinéa 2, de la Loi anti-blanchiment.
Compte tenu de ce qui précède, la BNB estime que les dispositions des articles 33, § 1er, alinéa 1er, 34, § 3, et 35, § 2, de la Loi anti-blanchiment ne doivent être invoquées pour justifier le refus de nouer une relation d’affaires demandée par le client que dans les cas où celui-ci peut justifier qu’il se trouve dans l’impossibilité avérée de remplir les obligations de vigilance imposées par la Loi anti-blanchiment.
Elle recommande en outre, dans ces cas, d’établir avec soin et de conserver, conformément à l’article 24 du Règlement BNB anti-blanchiment, l’évaluation individuelle des risques et la justification de l’impossibilité de satisfaire aux obligations légales de vigilance qui fondent le refus d’entrée en relation d’affaires souhaitée par le client, ainsi que l’analyse des causes de cette impossibilité ayant permis de déterminer s’il y a lieu ou non d’en informer la CTIF.
3. La mise à jour de l’évaluation individuelle des risques et la rupture de relations d’affaires existantes
De même que dans certains cas de refus d’entrée en relation d’affaires il apparaît que certaines institutions financières se sont efforcées de justifier la rupture de relations d’affaires existantes avec certains clients en affirmant que la Loi anti-blanchiment leur interdirait de maintenir de telles relations d’affaires lorsqu’il est révélé dans le cours de cette relation d’affaires que des risques élevés de BC/FT y sont associés.
Comme on le sait, l’article 35, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Loi anti-blanchiment impose de mettre à jour les données d’identification et les informations relatives aux caractéristiques du client et à l’objet et à la nature d’une relation qui sont détenues par une institution financière, notamment lorsque des éléments pertinents au regard de l’évaluation individuelle des risques visée à l’article 19 de cette loi sont modifiés. Celle-ci doit être mise à jour chaque fois que se produisent des événements susceptibles d’avoir une influence significative sur les risques associés à la relation d’affaires, de sorte que les mesures de vigilance mises en œuvre pourraient ne plus être adéquates et suffisantes au regard du niveau modifié des risques. La BNB a en outre estimé qu’afin de s’assurer de la pertinence actuelle des évaluations individuelles des risques, les procédures internes peuvent utilement prévoir en outre, lorsque cela est approprié au regard des activités exercées, une révision périodique de ces évaluations et des informations détenues sur lesquelles elles se fondent (cf. les pages : Vigilance à l’égard des relations d’affaires et des opérations occasionnelles et détection des faits et opérations atypiques : commentaires et recommandations de la BNB, Identification des caractéristiques du client ainsi que de l’objet et de la nature de la relation d’affaires ou de l’opération occasionnelle : commentaires et recommandations de la BNB, et Evaluation individuelle des risques : commentaires et recommandations de la BNB)
Lorsque la réévaluation individuelle des risques conduit à un rehaussement du niveau des risques que l’institution financière associe à la relation d’affaires, la Loi anti-blanchiment lui impose de rehausser également le niveau de vigilance qu’il exerce à l’égard de cette relation d’affaires.
Comme dans le cas de l’entrée en relations d’affaires, la Loi anti-blanchiment n’impose en revanche pas à l’institution financière de mettre un terme à la relation d’affaires dont le niveau de risque s’avère plus élevé que celui qui avait été antérieurement évalué, sauf dans les hypothèses dans lesquelles l’institution financière :
- ne peut pas satisfaire à son obligation de mettre à jour les données d’identification du client, ou, le cas échéant, de ses mandataires ou de ses bénéficiaires effectifs et de les vérifier (article 33, § 1er, alinéa 1er, de la Loi anti-blanchiment),
- ne peut pas satisfaire à son obligation d’actualiser son évaluation des caractéristiques du client et de l’objet et de la nature de la relation d’affaires (article 34, § 3, alinéa 1er, de la Loi anti-blanchiment), ou
- a des raisons de considérer qu’il ne pourra pas satisfaire :
- à son obligation de soumettre à un examen attentif les opérations effectuées pendant la durée de la relation d’affaires ainsi que, si nécessaire, l’origine des fonds, ou
- à son obligation de mise à jour ultérieure des données d’identification du client et de ses mandataires et bénéficiaires effectifs éventuels, ainsi que des autres informations recueillies et qui sont nécessaires à l’évaluation des caractéristiques du client et de l’objet et de la nature de la relation d’affaires
(article 35, § 2, alinéa 1er, de la Loi anti-blanchiment).
Les commentaires formulés plus haut concernant l’impossibilité de remplir les obligations correspondantes dans le cas de l’entrée en relation d’affaires sont identiquement applicables.
La BNB tient toutefois à souligner que, lorsqu'une déclaration de soupçon a été adressée à la CTIF, l'institution financière doit procéder à une actualisation de l'évaluation individuelle des risques du client concerné par la déclaration, conformément à l'article 22 du Règlement BNB anti-blanchiment. Dans ce contexte, l'analyse de l'intensité du soupçon de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme, du montant ou de la fréquence des opérations suspectes, peut amener l’institution financière à considérer que les mesures renforcées de vigilance qu’elle pourrait mettre en œuvre vis-à-vis du client concerné ne lui permettraient pas de se prémunir à suffisance du risque d’être involontairement impliqué dans de futures opérations de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme de ce client, et à décider dès lors de mettre un terme à la relation d’affaires avec celui-ci.
Compte tenu de ce qui précède, les recommandations formulées par la BNB au chapitre précédant s’appliquent, mutatis mutandis, lorsqu’une institution financière met fin à une relation d’affaires en raison de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de remplir ses obligations de vigilance.
4. Le coût des devoirs de vigilance
Il apparaît que certaines institutions financières se sont efforcées de justifier leur refus d’entrer en relations d’affaires avec certains clients ou leur décision d’y mettre un terme par les coûts liés à l’exécution des devoirs de vigilance requis par la Loi anti-blanchiment, en particulier lorsque des risques élevés de BC/FT sont associés à la relation d’affaires. En règle générale, le coût des contrôles de LBC/FT est couvert par la tarification ordinaire que les institutions financières appliquent à leurs clients pour la fourniture de leurs services et produits financiers. Leur politique tarifaire n’établit pas nécessairement des tarifs différenciés en fonction des différents niveaux de risque de BC/FT qui sont associés aux relations d’affaires, tels qu’ils se reflètent dans la classification des risques.
A cet égard, même si l’exécution des devoirs de vigilance en matière de LBC/FT vise à réduire les coûts futurs potentiels que les risques de BC/FT sont susceptibles de générer s’ils se concrétisent, et qui peuvent s’avérer extrêmement lourds, voire non supportables pour les institutions financières, la BNB est consciente qu’à l’instar de toutes les mesures de contrôle interne de quelque nature qu’elles soient, la mise en œuvre des mesures de vigilance requises par la Loi anti-blanchiment génère un coût immédiat qui s’accroît lorsqu’en raison d’un niveau élevé de risques de BC/FT, la loi impose d’accroître le niveau de vigilance. Pour cette raison, la BNB n’exclut donc pas que, dans le respect d’autres législations éventuellement applicables, le coût supplémentaire engendré par la mise en œuvre de mesures de vigilance additionnelles soit objectivement reflété dans la tarification que les institutions financières appliquent à leurs clients.
En revanche, la BNB n’estime pas qu’il serait légitime qu’une institution financière procède au de-risking de catégories de clients au motif que la tarification des produits et services fournis serait insuffisante pour couvrir les coûts engendrés par l’exercice des devoirs de vigilance requis par la Loi anti-blanchiment.
Compte tenu de ce qui précède, il pourrait être admis que les institutions financières, dans la mesure légalement autorisée, tiennent compte du coût objectivement évalué des mesures de vigilance requises par la Loi anti-blanchiment dans la tarification des services et produits financiers qu’elles offrent à leurs clients. La BNB estime qu’il peut être légitime d’appliquer des tarifs différenciés en fonction de la nature et du niveau de la vigilance qui est requise, pour autant que cette différenciation puisse être objectivement justifiée de manière telle qu’elle ne puisse pas être qualifiée de discriminatoire ou de prohibitive.
5. Le risque de mesures administratives de redressement, de sanctions administratives et de condamnations civiles ou pénales
Il apparaît que certaines institutions financières se sont également efforcées de justifier leur refus d’entrer en relations d’affaires avec certains clients ou leur décision d’y mettre un terme par le risque de faire l’objet de mesures administratives de redressement énumérées aux articles 93 et 94 de la Loi anti-blanchiment ou de sanctions administratives définies par l’article 132 de la loi, voire, de sanctions pénales fondées sur l’article 505 du Code pénal dans l’hypothèse où le client ferait usage de la relation financière pour effectuer des opérations de BC/FT. Lorsque des déclarations d’opérations suspectes sont adressées à la CTIF et qu’il en résulte un blocage des fonds concernés, le risque existe également que le client introduise une demande de dédommagement si la déclaration à la CTIF n’a pas été effectuée de bonne foi.
Il y a lieu de souligner néanmoins que, lorsqu’elle examine l’opportunité d’imposer les mesures administratives précitées ou d’initier une procédure de sanction administrative à l’encontre d’une institution financière, la BNB tient compte, en conformité avec les positions adoptées à cet égard par le GAFI (voir en particulier son communiqué du 23 octobre 2015 et les « orientations » du GAFI « Guidance dated 23 October 2015 for a Risk-Based Approach: Effective Supervision and Enforcement by AML/CFT Supervisors of the Financial Sector and Law Enforcement ») du fait que l’approche fondée sur les risques que les institutions financières sont légalement tenues de mettre en œuvre ne permet pas de garantir strictement qu’elles ne puissent pas être utilisées abusivement à des fins de BC/FT.
Dès lors, des mesures administratives de redressement ne sont pas systématiquement imposées ou des procédures de sanction administrative initiées chaque fois que la BNB est amenée à constater que les devoirs de vigilance requis par la Loi anti-blanchiment n’ont été qu’imparfaitement mis en œuvre dans le cadre de relations d’affaires particulières, ou dans chaque cas dans lesquels des opérations suspectes n’ont pas été détectées et notifiées à la CTIF. Face à de tels constats la BNB détermine s’il est nécessaire et opportun qu’elle prenne des mesures graves de cette nature sur la base d’une évaluation de la gravité des faits constatés. Sont notamment pris en considération à cet effet des critères tels que, notamment, les montants en jeu, le caractère répétitif des manquements ou le fait que les manquements résultent d’une négligence claire et inexcusable ou d’une déficience grave et connue dans l’organisation interne à laquelle il n’a pas été remédié, ou, a fortiori, lorsqu’ils découlent d’un acte délibéré.
Des mesures administratives ou procédures de sanction peuvent en particulier se justifier lorsque la BNB dispose d’indices sérieux que les manquements constatés ont pour conséquence que l’institution financière n’est pas en mesure de coopérer efficacement à la prévention du BC/FT comme requis par la loi.
En ce qui concerne le risque de sanction pénale fondée sur l’article 505 du Code pénal, la BNB souligne qu’elle n’est pas compétente en matière pénale et ne peut notamment pas se prononcer sur les conditions dans lesquelles une institution financière, ses dirigeants ou ses employés peuvent être poursuivis et condamnés par application de cet article du Code pénal en qualité d’auteurs, co-auteurs ou complices d’une infraction pénale de blanchiment de capitaux.
La BNB note également que, dans les cas où des déclarations de soupçons ont été adressées à la CTIF, l’immunité civile et pénale accordée par l’article 57 de la Loi anti-blanchiment n’est pas absolue, mais soumise à la condition que la déclaration de soupçon ait été adressée « de bonne foi ». L’interprétation de cette notion ne relève pas de la BNB, mais des juridictions de l’Ordre judiciaire. Lorsque cette condition n’est pas rencontrée, le risque d’une demande d’indemnisation ou de poursuites et de sanction pénale ne peut pas être exclu. Néanmoins, la BNB considère que l’article 57 de la Loi anti-blanchiment vise, tout comme l’article 37 de la Directive 2015/849 du 20 mai 2015 et la Recommandation 21 du GAFI qu’il transpose, à sécuriser les entités assujetties qui procèdent de bonne foi à des déclarations de soupçons en les protégeant des éventuelles poursuites, notamment judiciaires, y compris celles qui seraient fondées sur les opérations de blanchiment qu’elles ont déclarées.
Il est également rappelé à cet égard que, sur le plan civil, la jurisprudence indique que la « bonne foi » évoquée ci-dessus suppose notamment que les opérations atypiques des clients aient fait l’objet d’une analyse spécifique, telle que requise par l’article 45 de la Loi anti-blanchiment, qui prenne effectivement en compte l’ensemble des informations détenues par l’institution financière ou qui résultent des mesures complémentaires à celles visées aux articles 19 à 41 de la loi qui sont nécessaires pour étayer cette analyse, et que l’institution financière est tenue de mettre en œuvre, en vertu du même article 45 de la loi.
La BNB rappelle que le meilleur moyen pour les institutions financières d’éviter le risque de mesures administratives graves ou de sanctions administratives pour infractions à la Loi anti-blanchiment, voire, le risque de poursuites pénales du fait qu’elles auraient prêté leur concours à des opérations de blanchiment de capitaux de ses clients, et le risque de demandes d’indemnisation devant les juridictions civiles du fait de déclarations adressées à la légère à la CTIF, consiste à veiller à la mise en œuvre effective de mesures appropriées et efficaces de prévention du blanchiment de capitaux, y compris et tout particulièrement dans les cas dans lesquels des risques élevés de BC/FT sont identifiés.