Rapatriement d'actifs : commentaires et recommandations de la BNB
1. Situations visées
Les commentaires et recommandations ci-dessous ’s’adressent aux :
- établissements de crédit de droit belge, y compris les succursales en Belgique d'établissements relevant du droit d'un autre pays de l'Espace Economique Européen (EEE) ou d'un pays tiers ;
- sociétés de bourse de droit belge, y compris les succursales en Belgique de sociétés relevant du droit d'un autre pays de I'EEE ou d'un pays tiers ;
- entreprises d'assurance de droit belge qui disposent de l'agrément pour exercer les activités d'assurance-vie, y compris les succursales en Belgique d'entreprises relevant du droit d'un autre pays de I'EEE ou d'un pays tiers;
dans la mesure où ces institutions financières exercent des activités dans le cadre desquelles des rapatriements d'actifs portant sur des montants importants sont réceptionnés.
Les transferts d’actifs entre institutions financières belges relèvent uniquement du champ d’application des présents commentaires et recommandations si ces actifs ont préalablement fait l’objet d’un tel rapatriement. Pour ces rapatriements « indirects », la loi anti-blanchiment autorise les échanges d’informations entre ces deux institutions financières concernant le client et les actifs concernés Ces informations peuvent porter sur la provenance de ceux-ci, voire sur d’éventuelles déclarations à la Cellule de Traitement des Informations Financières.
2. Remarques préliminaires
La nature transfrontalière des rapatriements impose d’attacher une attention particulière aux facteurs de risques associés aux pays au départ desquels les actifs sont rapatriés en Belgique, aux fins de l’analyse des risques de blanchiment d’actifs associés auxdits rapatriements. De telles opérations peuvent notamment présenter des risques particuliers de blanchiment du produit de la « fraude fiscale grave, organisée ou non » dans le chef des donneurs d'ordre du transfert (par exemple les donateurs) et/ou des bénéficiaires en Belgique (par exemple les donataires ou les héritiers/légataires) (cf. article 4, 23°, k), de la loi anti-blanchiment).
En vertu de l’article 36/4 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique, celle-ci ne connaît pas des questions d'ordre fiscal (sans préjudice des règles et recommandations concernant les « mécanismes particuliers ayant pour but ou pour effet de favoriser la fraude fiscale par des tiers »). Dès lors, les commentaires énoncés ci-dessous qui ont trait à la notion de « fraude fiscale grave, organisée ou non », au sens de la loi anti-blanchiment, et qui font référence à des dispositions ou notions de droit fiscal ne valent que pour l’appréciation de la correcte application de la loi anti-blanchiment. Ils ne lient pas les autorités administratives ou judiciaires compétentes en matière fiscale.
La BNB n’est pas davantage compétente en matière pénale et ne peut notamment pas se prononcer sur les conditions dans lesquelles une institution financière, ses dirigeants ou ses employés peuvent être poursuivis et condamnés par application de l’article 505 du Code pénal en qualité d’auteurs, co-auteurs ou complices d’une infraction pénale de blanchiment de capitaux.
Néanmoins, une institution financière et, le cas échéant ses dirigeants ou employés, encourent le risque d’être ainsi poursuivis par application de l’article 505 du Code pénal lorsqu’il est avéré que cette institution financière n’a pas mis en œuvre les mesures, requises par ou en vertu de la loi anti-blanchiment, lui permettant de détecter efficacement des fonds ou opérations suspects et d’adresser des déclarations de soupçons à la CTIF dans les cas où cela est requis, et qu’il peut être démontré que cette institution ou ses dirigeants ou ses employés ont sciemment perpétué les faiblesses graves de ces mécanismes préventifs ou qu’ils ont sciemment contourné ou toléré le contournement de ces mécanismes, dans l’intention de permettre à des clients de commettre des infractions de blanchiment de capitaux. La minimisation de ce risque requiert que les institutions financières veillent à la mise en œuvre effective de mesures appropriées et efficaces de prévention du blanchiment de capitaux.
Quant à la portée de l’immunité de responsabilité civile, pénale ou disciplinaire accordée par l’article 57 de la loi à l’institution financière, son dirigeant, le membre de son personnel, son agent ou son distributeur ayant procédé à la communication de bonne foi d’informations à la CTIF, il est renvoyé au commentaire de cet article dans l’exposé des motifs de la loi, au Chapitre 4 des « Lignes directrices » du 15 août 2020 de la CTIF aux entités assujetties, ainsi qu’à la page « Protection des déclarants » du site internet de la BNB.
3. Mesures de vigilance accrue
3.1.Attentes liées à la détection et à la déclaration d’opérations et fonds suspects à la CTIF
Le placement d’actifs à l’étranger par des résidents belges, tant au sein qu’en dehors de l’EEE, ne peut pas être considéré comme a priori illégitime. Toutefois, un tel placement peut, dans certains cas, avoir (ou avoir eu) pour finalité de dissimuler une origine illicite des actifs concernés, par exemple, le fait qu’ils sont le produit d’une fraude fiscale grave, ou avoir (ou avoir eu) pour finalité de se livrer à une activité criminelle sous-jacente au blanchiment de capitaux.
Les institutions financières qui réceptionnent des montants importants d’actifs provenant de l’étranger à créditer sur le compte d’un client ou à titre de prime d’assurance payée par celui-ci, sont tenues dès lors de procéder à un examen attentif de ce transfert afin de vérifier sa cohérence par rapport à l’objet et à la nature de la relation d’affaires ou de l’opération envisagée et au profil de risque du client (voir la page « Vigilance à l'égard de la clientèle et des opérations »). Ces devoirs de vigilance doivent être exercés conformément à l’approche fondée sur les risques requise par les articles 7 et 19, § 2, de la loi anti-blanchiment. Lorsque cela est nécessaire, notamment lorsque le transfert porte sur un montant élevé en termes absolus ou au regard du profil du client, cet examen doit notamment prendre en compte l’origine des actifs.
Toute opération qui n’apparaît pas pouvoir être considérée comme une opération normale ou ordinaire du client, notamment en raison de son montant, de la complexité apparente de l’opération, etc., doit être considéré comme « atypique » et doit dès lors être soumis à une analyse approfondie conformément à l’article 45 de la loi anti-blanchiment. Les signalements de telles opérations « atypiques » doivent résulter de la vigilance exercée tant par les préposés qui sont en contact direct avec les clients ou chargés de l’exécution de leurs opérations, que par le système automatisé de surveillance des opérations (voir également le point 3.4.2. ci-après). Conformément à l’approche fondée sur les risques, il convient notamment de tenir compte du fait que les actifs sont transférés depuis l’étranger. Il est renvoyé en particulier aux articles 38 et 39 de la loi, qui requièrent la mise en œuvre de mesures de vigilance accrue à l’égard des relations d'affaires ou opérations occasionnelles avec des personnes physiques ou morales ou avec des constructions juridiques, telles que des trusts ou des fiducies, impliquant un pays tiers à haut risque (cf. articles 4, 9° et 38 de la loi), et à l’égard des relations d'affaires ou opérations, en ce compris la réception de fonds, qui ont un lien quelconque avec un État à fiscalité inexistante ou peu élevée (article 39 de la loi). La BNB estime également qu’une attention particulière doit être accordée de ce point de vue aux rapatriements effectués depuis un pays connu pour être ou avoir été largement utilisé pour y transférer des actifs dans le but de commettre des actes de fraude fiscale ou d’en dissimuler le produit.
Lorsqu’un transfert atypique depuis l’étranger est signalé à l’AMLCO conformément à l’article 35, § 1er, 1°, de la loi anti-blanchiment, l’analyse approfondie de à laquelle l’AMLCO doit procéder conformément à l’article 45 de la loi anti-blanchiment (voir la page « Analyse des faits et opérations atypiques ») doit notamment viser à clarifier et documenter, en fonction des circonstances, les raisons pour lesquelles les actifs concernés ont été placés à l’étranger, afin de décider si leur transfert sur le compte du client auprès de l’institution financière belge concernée présente ou non un caractère suspect au sens de l’article 47 de la même loi (voir la page « Déclaration de soupçons »). Il appartient ainsi à l’institution financière de décider, sous la responsabilité de son AMLCO et sur la base de la justification documentée résultant de ce processus, si tout soupçon de blanchiment peut ou non raisonnablement être écarté et, en conséquence, s’il y a lieu d’adresser une déclaration de soupçon à la CTIF.
La loi n’interdit pas à une institution financière de réceptionner des actifs, rapatriés ou non depuis l’étranger, lorsqu’elle sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que ces actifs sont liés au blanchiment de capitaux. Conformément à l'article 47, § 1er, alinéa 1er, de la loi anti-blanchiment, les institutions financières sont en tout état de cause tenues de procéder à une déclaration à la CTIF dès qu’elles savent, soupçonnent ou ont des motifs raisonnables de soupçonner que des fonds, des opérations ou des tentatives d’opérations sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. Une déclaration de soupçons à la CTIF est donc requise dès que l’institution financière est ne fût-ce qu’approchée par un client potentiel ou un client existant en vue d’un éventuel rapatriement d’actifs dont l’institution financière sait, soupçonne ou a des raisons de soupçonner qu’ils sont issus de la commission d’une ou plusieurs des activités criminelles énumérées à l’article 4, 23°, de la loi anti-blanchiment, y compris une fraude fiscale grave, organisée ou non (« tentative d’opération »).
L'obligation de déclaration ne signifie en revanche pas que l’institution financière doive déterminer quelle est l'activité criminelle sous-jacente au blanchiment de capitaux (voir l'article 47, § 1er, alinéa 2, de la loi anti-blanchiment). L'exposé des motifs de la loi énonce par ailleurs que « Ainsi, par exemple, dès lors qu’une entité assujettie soupçonne que des fonds ont une origine illicite pouvant consister dans une fraude fiscale, cette entité assujettie est tenue d’adresser une déclaration à la CTIF sans avoir à déterminer au préalable que cette fraude fiscale est effectivement grave ou non. ». L’institution financière ne doit dès lors pas enquêter plus avant afin de distinguer une éventuelle fraude fiscale grave d'une éventuelle fraude fiscale simple. En revanche, lorsque l'enquête approfondie menée par l'AMLCO fournit une assurance suffisante que, même si une fraude fiscale est suspectée, celle-ci ne peut être qualifiée de grave, les actifs ou leur transfert ne doivent pas être considérés comme soumis à l'obligation légale de déclaration de soupçons à la CTIF. L'AMLCO peut arriver à cette conclusion notamment lorsque les montants en jeu sont limités, tant dans l'absolu que par rapport aux caractéristiques du client, ou parce que la fraude fiscale éventuelle n'a manifestement pas impliqué la création et l'utilisation de faux documents ou le recours à des structures ou une organisation complexes.
Le moindre soupçon que le client connaît ou devrait raisonnablement connaître l'origine illégale des actifs (en référence à la définition du blanchiment de capitaux telle qu’elle figure à l'article 2, 3°, de la loi anti-blanchiment) suffit à faire naître un soupçon de blanchiment de capitaux dans le chef de l’institution financière et, partant, l'obligation de procéder à une déclaration de soupçon à la CTIF. Lorsqu’un donataire, héritier ou un légataire affirme n’avoir aucune connaissance de l’origine des avoirs que le donateur ou le défunt lui a transmis par donation ou à son décès, il appartient à l’institution financière d’évaluer la crédibilité de cette affirmation, compte tenu des particularités du cas d’espèce (notamment la nature et l’intensité des liens qui unissaient le donateur ou le défunt, d’une part, et son donataire ou son héritier ou légataire, d’autre part). Une telle affirmation par une personne dont il n’est pas raisonnable de croire quelle puisse ignorer l’origine des actifs que le donateur ou le défunt lui a transmis par donation ou par décès peut être indicative d’une volonté de dissimulation et générer des soupçons de blanchiment de capitaux.
Il n’est pas davantage admissible qu’une institution financière décide de ne pas adresser de déclaration de soupçon à la CTIF au motif que, selon elle, les infractions pénales susceptibles d’avoir généré les fonds seraient prescrites ; cette appréciation relève de la seule compétence des autorités judiciaires. Le seul effet de la prescription consiste au demeurant à ne plus permettre que des poursuites pénales soient menées et que des sanctions pénales soient prononcées, sans que les faits concernés puissent pour autant être considérés comme licites.
En outre, ni le décès éventuel de l'auteur d'une activité criminelle sous-jacente visée à l'article 4, 23°, de la loi anti-blanchiment, ni la donation du produit de cette activité n’altèrent le caractère illicite de l'origine des actifs concernés.
La nature de la taxe éludée ne constitue en outre pas un critère pertinent pour déterminer s’il y a lieu de considérer que les fonds ont ou non une origine illicite ; les fraudes fiscales graves ayant permis d’éluder les taxes indirectes (TVA, accises, TOB, TCT, etc.) sont tout autant visées que celles ayant permis d’éluder les impôts directs.
3.2.Attentes concernant le contrôle de l'origine des fonds – pièces justificatives
En fonction du niveau des risques identifiés, il appartient à l’institution financière de s’efforcer d’étayer la déclaration du client en la recoupant avec d’autres sources d’information fiables et indépendantes. Il est attendu que le niveau d’exigence de ce point de vue s’accroisse en proportion du risque de blanchiment.
- Lorsque les actifs trouvent leur origine dans une donation, il est recommandé en règle générale d’obtenir copie de l’acte de donation (ou de la confirmation écrite éventuelle du don manuel ou du don bancaire que le donateur peut avoir adressée au donataire). Il y a toutefois lieu de relever que si l’acte de donation constitue un document probant de l’origine directe des actifs dans le chef du donataire, il ne fournit en revanche pas d’information quant à l’origine de ceux-ci dans le chef du donateur, ni quant à celle de la fortune de celui-ci, auxquelles il y a lieu, en fonction des risques, que l’institution financière du donataire élargisse sa recherche d’informations.
- Lorsque les actifs proviennent d’un legs ou d’une succession, une copie de la déclaration de succession peut contribuer utilement à étayer l’évaluation de l’opération sous l’angle de la prévention du blanchiment de capitaux, en clarifiant l’origine directe des actifs reçus. Mais une telle déclaration en bonne et due forme ne dispense pas l’institution financière d’adresser une déclaration à la CTIF lorsqu’elle soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que les actifs hérités sont le produit d’une activité criminelle (notamment, une fraude fiscale grave telle que visée par la loi anti-blanchiment à l’époque du rapatriement) qui est imputable à la personne décédée. Mais en outre, cette institution financière sera également tenue de procéder à une déclaration à la CTIF si elle sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que les actifs qui lui sont transférés sont le produit d’une fraude fiscale grave aux droits de succession imputables aux héritiers. Ainsi en est-il, par exemple, si elle sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que, nonobstant le fait qu’une déclaration de succession a été effectuée, tout ou partie des actifs transférés n’a pas été mentionné dans cette déclaration. A fortiori devra-t-elle adresser une déclaration à la CTIF si elle sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner qu’aucune déclaration de succession n’a été établie.
- Lorsque l'origine des actifs rapatriés qui est alléguée par le client est liée à la vente de biens immobiliers (par le client lui-même, ou par exemple par le donateur ou le de cujus du client), il apparaît utile d’obtenir copie de l’acte de vente qui est à l’origine des actifs concernés par le transfert.
- Lorsque l’origine des actifs rapatriés qui est alléguée par le client consiste dans une épargne salariale constituée au fil des ans par prélèvement sur les rémunérations perçues à l’étranger par l’intéressé (le client lui-même, ou par exemple le donateur ou le de cujus du client), il appartient à l’institution financière d’apprécier dans un premier temps la crédibilité de l’origine alléguée des actifs non seulement sur la base du niveau de rémunération du client à une date déterminée, mais en tenant compte également d’éléments d’information complémentaire comme, à titre d’exemples, la période pendant laquelle cette rémunération a été perçue, ou l’importance des charges que la personne concernée a supportées pendant cette période (notamment en raison de sa situation familiale, de ses investissements immobiliers, etc.). Il lui appartient ensuite de déterminer la documentation, relative à la capacité d’épargne de l’intéressé, qu’elle estime adéquate pour étayer la justification de la licéité de l’origine des actifs, notamment sur le plan fiscal. Lorsque cela est possible, les fiches de salaires, déclarations fiscales ou avertissements-extrait de rôle apparaissent pouvoir être utiles à cet effet.
Lorsqu’il n’est pas possible de documenter l’origine des actifs au moyen de tels documents, il convient de s’efforcer d’obtenir d’autres formes de documentation, par exemple, les documents probants nécessaires dans le cadre de la déclaration de donation ou de succession et/ou du dossier et de l'attestation de régularisation fiscale, et qui permettent d’étayer la justification de la licéité de l’origine des actifs, et de décider si la documentation disponible permet de convaincre une personne raisonnable que l’opération ne suscite pas de soupçons de blanchiment de capitaux.
Lorsque la documentation in fine rassemblée à l’appui de la justification de l’opération et de l’origine des actifs est insuffisante au regard des exigences des procédures internes de l’institution financière, notamment lorsque la délivrance de certaines pièces justificatives par le client s’avère impossible en raison des circonstances (par exemple, lorsque le client invoque l’ancienneté de l’acquisition des actifs par le donateur, la perte ou la destruction des pièces justificatives, etc.), il appartient à l’institution financière de décider, sous la responsabilité de son AMLCO :
a) S’il y a lieu de soupçonner que l’absence de documentation suffisante est de nature à générer ou à conforter un soupçon de blanchiment de capitaux (par exemple, si elle résulte d’une volonté de dissimulation dans le chef du client) ou si les défauts de documentation sont tels que celle-ci ne permet raisonnablement pas d’étayer à suffisance la crédibilité de la justification fournie, et donc d’écarter les soupçons ; dans ces cas, une déclaration de soupçon doit être adressée à la CTIF ; ou,
b) Si l’absence de documentation suffisante résulte uniquement de difficultés matérielles qui découlent des particularités propres à la situation concrète (événements trop anciens, destruction accidentelle de pièces utiles, etc.), mais n’est pas de nature à mettre en doute la justification de la licéité de l’opération ou de l’origine des actifs, ni à générer ou conforter un soupçon de blanchiment de capitaux ; dans ces cas, l’institution financière peut juger adéquat de ne pas adresser de déclaration de soupçon à la CTIF ; en revanche, il est hautement recommandé que la motivation de la décision de l’institution financière soit dûment actée par écrit, que les éléments factuels sur lesquelles elle repose soient documentés dans toute la mesure du possible, et que l’ensemble soit conservé de manière à pouvoir être produit en cas de besoin ; il appartient en outre à l’institution financière de prendre en compte, dans l’évaluation individuelle des risques, la faiblesse de la documentation qui a pu être rassemblée pour déterminer le niveau et la nature de la vigilance à exercer à l’égard des opérations futures du client.
Dans ce contexte, il appartient à chaque institution financière de déterminer dans quelle mesure une simple déclaration par le client quant aux antécédents du donateur et quant à l’origine des actifs faisant l’objet de la donation – notamment leur statut sur le plan fiscal – peut constituer la base de la justification de la licéité de l’opération et de l’origine des actifs. La prise en compte d’une telle déclaration du client doit cependant pouvoir apparaître raisonnable au regard des risques associés au client et à l’opération. Il y a en effet lieu d’avoir pleinement égard, dans le cadre d’une approche raisonnable fondée sur les risques, au fait que la seule signature d’une déclaration écrite du client, ou, a fortiori, sa seule déclaration orale, non corroborée par des vérifications et une documentation complémentaires apparaît n’avoir qu’un pouvoir de conviction particulièrement faible.
3.3.Examen de la licéité des actifs rapatriés sur le plan fiscal
3.3.1. Introduction
Compte tenu du risque élevé de BC/FT lié aux rapatriements de montants élevés, la BNB conseille vivement aux institutions financières d’appliquer la vigilance requise avant d'accepter les actifs. Lorsqu’une institution financière réceptionne des actifs rapatriés avant d’avoir pu finaliser son examen documenté de la licéité de l’origine des actifs et de l’opération et n’a dès lors pas encore pu déterminer si elle peut considérer que les actifs ont une origine licite ou s’il y a lieu d’adresser une déclaration de soupçon à la CTIF, s’ouvre pour l’institution financière une période critique qui s’étend jusqu’à la finalisation de cet examen et à la décision quant à l’existence ou non de soupçons. La BNB estime qu’eu égard au risque élevé associé à cette situation, l’institution financière est tenue, d’une part, de tout mettre en œuvre pour raccourcir autant que cela est possible la durée de cette période critique et, d’autre part, de soumettre à une vigilance renforcée le compte sur lequel les actifs concernés sont placés. Si le client demande pendant cette période critique d’effectuer des transferts ou retraits en espèces pour des montants importants au départ de ce compte, la BNB estime que l’institution financière doit soumettre ces demandes à un examen renforcé et les prendre en considération dans l’examen de l’existence ou non de soupçons. Dans l’hypothèse où, postérieurement à de tels transferts, l’examen documenté de la licéité de l’origine des actifs et de l’opération de rapatriement conduit à constater qu’il existe des soupçons de blanchiment de capitaux, la déclaration de soupçons adressée à la CTIF doit indiquer clairement tous les transferts qui ont été effectués au départ du compte concerné.
Il est par ailleurs rappelé que l’article 31, alinéa 2 de la loi anti-blanchiment interdit toute opération de transfert, retrait ou remise de fonds ou de titres au client ou à son mandataire au départ du compte concerné avant que l’identité du client et de ses éventuels mandataires ou bénéficiaires effectifs ait pu être effectivement vérifiée, s’il a été fait usage de la faculté prévue audit article de ne pas finaliser cette vérification avant l’entrée en relation d’affaires, dans les circonstances particulières énumérées par les procédures internes, et dans le respect des conditions énumérées par la loi..
3.3.2. Analyse de la régularité des actifs sur le plan fiscal lors de leur réception par l’institution financière
La loi n’interdit pas à une institution financière de réceptionner des actifs (rapatriés ou non) lorsqu’elle sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que ces actifs sont liés au blanchiment de capitaux. Si une institution financière belge accepte de réceptionner des fonds dont elle sait, soupçonne ou a des raisons de soupçonner qu’ils sont le produit d’une fraude fiscale grave visée par la loi anti-blanchiment à l’époque du rapatriement, il lui appartient, enprincipe à la réception de ces actifs, de s’assurer que le client a effectivement mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour régulariser la situation de ceux-ci sur le plan fiscal. Du fait de l’immunité pénale et fiscale qui est accordée au contribuable, une telle régularisation remédie en effet au caractère initialement illicite de l’origine de actifs qui ont été générés par une fraude fiscale grave. Il est donc recommandé d’obtenir du client les documents émanant des autorités fiscales qui permettent de documenter que les actifs concernés ont effectivement subi dès l’origine le régime fiscal applicable ou qu’ils ont été régularisés ou sont en cours de régularisation, et que les impôts dus ont effectivement été payés. À cet égard, en raison des montants généralement élevés qui sont concernés, une simple affirmation du client ou de son conseil, même écrite, que les mesures de régularisation fiscale des actifs rapatriés ont été prises et que les impôts dus ont été payés ne peut généralement pas être considérée comme suffisante.
Il convient également que l’institution financière veille à éviter que le client, qui a pris les mesures requises pour régulariser fiscalement une partie de ses avoirs placés à l’étranger, notamment par le biais d’une déclaration libératoire, procède en fait à un rapatriement incluant non seulement lesdits avoirs régularisés, mais également et simultanément d’autres avoirs qu’il a décidé de ne pas régulariser, sans que l’institution financière n’applique à ces actifs additionnels non régularisés des mesures de vigilance visant à s’assurer de leur origine licite sur le plan fiscal (N.B. : Il se peut néanmoins que le capital placé à l’étranger ait une origine parfaitement licite et que seuls les revenus qu’il a générés doivent être considérés comme résultant d’une fraude fiscale grave. Il peut en être ainsi, par exemple, si des actifs ayant une origine licite sont expatriés afin que les revenus qu’ils généreront échappent de manière illicite à la taxation en Belgique. Il se peut donc, en fonction des situations qui peuvent se présenter, que seule une partie des actifs rapatriés doive faire l’objet de mesures de régularisation fiscale. Il appartient à l’institution financière de procéder à cette analyse et de documenter l’origine licite de l’ensemble des avoirs du client qu’il détient).
A défaut d’une telle régularisation fiscale, il appartient à l’institution financière de procéder à la recherche de toutes informations pertinentes et à leur analyse afin de pouvoir décider si ces informations permettent raisonnablement de dissiper le soupçon que les actifs rapatriés sont, en tout ou en partie, le produit d’une fraude fiscale grave, ou si, dans la négative, il s’impose à l’institution financière d’adresser une déclaration à la CTIF.
3.3.3. Application de la loi du 21 juillet 2016 (« DLU quater »)
A l’égard d’actifs pour lesquels l’analyse requise laisse subsister des suspicions de blanchiment de capitaux issus de la fraude fiscale grave il y a lieu de prendre en compte la possibilité pour le client de procéder, jusqu’au 31 décembre 2023, à une régularisation fiscale par application de la loi du 21 juillet 2016 visant à instaurer un système permanent de régularisation fiscale et sociale (« DLU quater »).
Tenant compte des différences notables entre la loi anti-blanchiment, d’une part, et la loi du 21 juillet 2016, d’autre part, une déclaration de soupçon de blanchiment du produit d’une fraude fiscale grave adressée à la CTIF serait dépourvue de fondement dans les deux cas suivants :
a. Si le client a pu apporter la preuve, dans le cadre de la procédure de régularisation, que l’intégralité de ses avoirs rapatriés ont été soumis à leur régime fiscal ordinaire (cf. l’article 11 de la loi du 21 juillet 2016). Cette preuve permet également d’exclure, pour l’application de la loi anti-blanchiment, le soupçon que ces actifs résultent d’une fraude fiscale grave.
b. Si le client a procédé à une déclaration-régularisation portant sur les actifs rapatriés sans avoir été en mesure d’apporter la preuve requise par la loi du 21 juillet 2016 qu’ils ont été soumis à leur régime fiscal ordinaire, et s’il en est résulté que les montants concernés ont été inclus dans l’assiette de calcul de la cotisation de régularisation effectivement payée, l’immunité fiscale et pénale dont bénéficie le client a pour effet que les actifs concernés ne sont plus à considérer comme le produit d’une fraude fiscale. Une déclaration de soupçon de blanchiment du produit d’une fraude fiscale grave adressée à la CTIF par l’institution financière belge auprès duquel ces avoirs sont rapatriés serait dès lors également dépourvue de fondement.
En revanche, si le client a renoncé à introduire une déclaration-régularisation au motif qu’il n’est pas en mesure d’apporter les preuves écrites requises par l’article 11 de la loi du 21 juillet 2016, tout en disposant néanmoins d’éléments de justification qu’il estime suffisants, dans l’hypothèse où il ferait l’objet de poursuites pénales, pour étayer la crédibilité de l’affirmation selon laquelle les actifs concernés ont été soumis à leur régime fiscal ordinaire, il appartient à l’institution financière auprès duquel ces actifs sont rapatriés d’évaluer les éléments de justification avancés par le client afin de décider s’ils peuvent être raisonnablement considérés comme suffisants pour dissiper le soupçon que ces actifs sont le produit d’une fraude fiscale grave. Dans l’affirmative, l’institution financière peut décider de ne pas adresser de déclaration de soupçon à la CTIF.
Enfin, si le client a renoncé à introduire une déclaration-régularisation au motif qu’il n’est pas en mesure d’apporter les preuves écrites requises par l’article 11 de la loi du 21 juillet 2016, et sans pouvoir avancer par ailleurs d’éléments de justification lui permettant d’étayer, dans l’hypothèse où il ferait l’objet de poursuites pénales, la crédibilité de l’affirmation selon laquelle les actifs concernés ont été soumis à leur régime fiscal ordinaire, l’institution financière auprès de laquelle ils sont rapatriés devrait considérer qu’il existe des soupçons de blanchiment du produit d’une fraude fiscale grave et devrait dès lors adresser une déclaration de soupçon à la CTIF.
3.4.Organisation et contrôle interne
3.4.1. Exigences supplémentaires en matière de gouvernance
Il est renvoyé à la page « Gouvernance » et rappelé, en outre, que l’article 9, § 2, alinéa 3, 2°, de la loi anti-blanchiment requiert que l’AMLCO dispose, notamment, de l’expertise adéquate qui est nécessaire à l’exercice effectif, indépendant et autonome de ses fonctions. Dès lors qu’en raison de son modèle d’activités, l’institution financière est amenée à réceptionner fréquemment des actifs rapatriés pour des montants importants, il s’impose que cette institution s’assure que son AMLCO dispose de l’expertise nécessaire pour prendre attitude quant à d’éventuels soupçons de blanchiment du produit de la fraude fiscale grave. Compte tenu de la technicité et de la complexité potentiellement élevées de l’analyse des opérations de rapatriement et, notamment, de leurs aspects fiscaux, il peut être utile, voire nécessaire que l’analyse de l’AMLCO puisse s’appuyer sur l’expertise de conseillers spécialisés, notamment, en droit fiscal. Le cas échéant, le recours à cette expertise particulière peut être organisée par la création d’un comité ad hoc institué au sein de l’institution financière. Il convient de veiller dans ce cas à ce que des mesures adéquates empêchent tout conflit d’intérêt dans le chef de ces conseillers et/ou de ce comité et garantissent l’objectivité des avis rendus. En toute hypothèse, la décision de considérer une opération comme suspecte ou non doit demeurer la seule compétence de l’AMLCO désigné conformément à l’article 9, § 2, de la loi anti-blanchiment.
3.4.2. Exigences supplémentaires concernant les politiques, procédures, processus et contrôles internes
Voir la page « Politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne ».
Compte tenu de l’examen particulier que requièrent les opérations de rapatriement, il peut également être recommandé de définir et mettre en œuvre une procédure permettant aux clients d’annoncer par avance leur intention de procéder à de tels rapatriements et de procéder à un stade précoce à la collecte des informations pertinentes et nécessaire à l’analyse de ces opérations. Enfin, compte tenu des particularités de ces opérations, il peut être recommandé aux institutions financières qui y sont fréquemment exposées de définir des procédures internes adéquates pour procéder à l’analyse de ces opérations et formuler une justification appropriée de la licéité des actifs sur la base de la documentation qui est nécessaire pour étayer la crédibilité de cette justification.
Il peut également s’avérer nécessaire, en fonction du niveau de risque pour l’institution financière d’être confrontée à de telles opérations, que les critères appliqués par les personnes en relation directe avec les clients et les opérations (cf. l’article 16 du Règlement BNB anti-blanchiment ) et les critères appliqués dans le cadre du système automatisé de surveillance des opérations (cf. l’article 17 du même règlement) soient définis de manière à permettre une détection efficace de ces opérations. Les critères à utiliser par ces préposés et par ce système automatisé pour reconnaître et signaler les opérations atypiques doivent être déterminés par les institutions financières dans leurs politiques et procédures internes. Outre le montant du transfert, peuvent devoir être retenus des critères relatifs aux pays au départ desquels les actifs sont transférés, à la complexité ou l’opacité de la structure juridique du donneur d’ordre du transfert, aux motifs du transfert, aux liens qui unissent le donateur, donneur d’ordre du transfert, et le donataire, bénéficiaire de ce transfert, etc. Pour déterminer ces critères, il est renvoyé à la page « Approche fondée sur les risques et évaluation globale des risques » et en particulier aux orientations de l’ABE sur les facteurs de risques qui y sont mentionnées.