Une décomposition de l'incertitude macroéconomique dans la zone euro

Article publié dans la Revue économique de 2024

La pandémie de COVID-19, la guerre de la Russie en Ukraine ainsi que la crise énergétique qui en a découlé ont exacerbé l’incertitude macroéconomique dans la zone euro. Un indicateur mis au point dernièrement révèle que la récente poussée d’incertitude est intimement liée aux fluctuations des prix sur les marchés des matières premières de même qu’aux variations des prix à la consommation et à la production. Les niveaux élevés d’incertitude continuent de compliquer la tâche des prévisionnistes qui s’efforcent d’anticiper les conditions économiques futures ainsi que la trajectoire de l’inflation.

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Ces quatre dernières années, les économies européennes ont été frappées par une série de chocs inattendus et exceptionnels, dont les plus notables sont sans doute la pandémie de COVID‑19 et la crise énergétique induite par l’invasion russe en Ukraine. L'incertitude a grimpé en flèche, et il est devenu extrêmement difficile d’établir des prévisions économiques précises. En juin 2020, Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, avait affirmé que la situation économique était « caractérisée par une profonde incertitude » et qu’il avait « rarement été aussi difficile de se projeter dans l'avenir ». Aujourd’hui encore, les perspectives d’inflation demeurent très incertaines, alors que les banques centrales sont confrontées à une inflation qui reste supérieure à l'objectif fixé.

Dans cet article, nous développons une mesure de l'incertitude macroéconomique dans la zone euro qui est étroitement liée à la notion d’imprévisibilité de l’évolution future de son économie. Notre mesure de l’incertitude repose sur la méthodologie proposée par Kyle Jurado, Sydney Ludvigson et Serena Ng. En résumé, cette méthodologie part du principe que l'incertitude est inversement proportionnelle à la prévisibilité : plus il est difficile de prédire l’évolution d’indicateurs économiques, plus l'incertitude est grande.

Nous considérons une série d’agrégats macroéconomiques – publiés sur une base mensuelle – qui sont importants pour décrire l’évolution de l’activité réelle, des taux d’intérêt et des prix (à la consommation et à la production) dans la zone euro. La zone euro étant une économie ouverte, ces indicateurs sont complétés par une série de variables macroéconomiques internationales. Ainsi, nous prenons en compte des variables provenant de partenaires clés (les États-Unis et le Royaume-Uni), des mesures de l'activité économique mondiale et les prix de différentes matières premières.

Notre mesure permet de retracer les épisodes passés d'incertitude et de comprendre les défis exceptionnels auxquels les prévisionnistes ont été confrontés au cours des récentes périodes de crise. En outre, une décomposition complète de notre mesure permet de mieux appréhender les différentes composantes de l'incertitude qui sont liées aux prix des matières premières, aux taux d'intérêt, à l'activité économique et aux prix à la consommation et à la production.

Le graphique 1 illustre l’évolution de l’incertitude macroéconomique dans la zone euro et de ses quatre composantes. L’incertitude macroéconomique dans la zone euro s’est accrue lors de quatre grandes crises : la crise financière de 2007‑2008, la crise des dettes souveraines européennes entre 2010 et 2012, la pandémie de COVID‑19 en 2020 et, plus récemment, la crise énergétique. Ces résultats confirment que les indicateurs d'incertitude sont fortement anticycliques, c'est-à-dire qu'ils augmentent pendant les récessions et diminuent pendant les périodes d’expansion.

Graphique 1 - L'incertitude macroéconomique dans la zone euro et ses quatre composantes

L’incertitude macroéconomique dans la zone euro a atteint des sommets lorsque la pandémie de COVID‑19  a éclaté et durant la crise énergétique. Lors de ces deux crises, la montée du niveau de l’incertitude a été telle que celui-ci a dépassé son précédent pic atteint pendant la crise financière de 2007‑2008. Ce graphique montre également que, même s’il a récemment baissé, le niveau d’incertitude reste bien supérieur à sa moyenne historique, ce qui est le signe qu’il reste actuellement difficile d’établir des prévisions précises sur la base de modèles économétriques.

Une décomposition de notre mesure de l'incertitude nous permet d'identifier certains des éléments à l'origine de sa récente augmentation. Le graphique 1 montre que l’accélération de l’incertitude dans la zone euro observée durant la pandémie est étroitement liée à une progression de l’incertitude au niveau de l’activité économique et des taux d’intérêt. Ces résultats soulignent la nature de cette crise, au cours de laquelle les mesures prises en vue de ralentir la propagation du virus et la hausse de la demande d’actifs sans risque ont profondément affecté l’activité économique et les marchés des titres à revenu fixe.

Alors que la pandémie de COVID‑19 a exercé une grande influence sur l'imprévisibilité de l'activité économique et des taux d’intérêt, la crise énergétique a eu un effet relativement plus important sur l'imprévisibilité des prix. En effet, nous constatons que l’augmentation de l'incertitude macroéconomique dans la zone euro lors de cette dernière crise est associée à des niveaux plus élevés d'incertitude tant sur les prix des matières premières que sur les prix à la consommation et à la production. Ces résultats indiquent que les récentes erreurs de prévision de l'inflation dans les projections du personnel de l'Eurosystème/la BCE pourraient en partie s’expliquer par une imprévisibilité accrue sur les marchés des matières premières.

Dans cet article, nous effectuons également une analyse plus approfondie de l’influence que l’incertitude macroéconomique exerce sur différentes variables considérées individuellement. Nous constatons que, dans la plupart des cas, notre mesure de l'incertitude macroéconomique dans la zone euro explique la majeure partie de la variation de l'incertitude au niveau de chaque indicateur économique. En d'autres termes, l'incertitude de certaines variables – plus particulièrement celle associée à l'activité économique ou aux prix à la consommation et à la production – s’explique largement par un seul facteur lié à l'incertitude macroéconomique dans la zone euro.

Enfin, nous développons un indice d'incertitude des prix en Belgique afin de suivre l'imprévisibilité des prix à la consommation et à la production dans cette économie. Nous constatons que l'incertitude des prix en Belgique est étroitement liée à l'incertitude des prix dans la zone euro, surtout en temps de crise. En outre, en décembre 2023, l'incertitude des prix en Belgique et dans la zone euro restait élevée, soulignant le défi actuel que représente la prévision de la dynamique de l'inflation pour ces deux économies.