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Baisse des taux d’intérêt : les salaires vont-ils jouer les trouble-fête ?

Taux d'intérêt
Inflation
Politique monétaire
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Le 6 juin, la BCE a abaissé ses taux d’intérêt à la suite du ralentissement marqué de l’inflation. Le principal taux directeur campait à 4 % depuis plusieurs mois pour lutter contre la hausse des prix. Les données sur les salaires publiées le 7 juin ont confirmé que le chemin à parcourir vers une inflation stable serait difficile. Début 2024, les salaires ont augmenté de 5 % sur une base annuelle dans la zone euro, ce qui pourrait pousser l’inflation à la hausse. De nouvelles réductions des taux d’intérêt sont-elles à attendre ? La BCE voudra éviter une nouvelle poussée d’inflation.

Comme l’écrit Christine Lagarde dans son dernier blog, la BCE a pu abaisser ses taux pour la première fois, de 25 points de base, en juin 2024. L’inflation a fortement ralenti et devrait continuer sur cette voie. Mais est-elle totalement sous contrôle ?

Une inflation persistante dans le secteur des services

De nouvelles données sur la croissance des salaires indiquent que ces derniers ont augmenté de 5 % sur une base annuelle dans la zone euro au premier trimestre 2024. Ce chiffre dépasse les prévisions établies fin 2023. Or, les salaires pourraient bien exercer une pression supplémentaire sur l’inflation. L’inflation des services, en particulier, reste tenace, à 4 %. 

Rien ne permet donc d’affirmer que les décisions de politique monétaire prises après le mois de juin déboucheront sur une succession rapide de réductions des taux d’intérêt. Les gouverneurs de la zone euro souhaitent éviter de devoir faire marche arrière si l’inflation repart à la hausse et dépasse significativement l’objectif de 2 % fixé par la BCE. D’après les marchés financiers et l’enquête de la BCE menée fin mai auprès des analystes monétaires, les taux directeurs pourraient encore être revus à la baisse une à deux fois d’ici fin 2024. La redescente pourrait être plus lente que les hausses de 2022 et de 2023.

Inflation totale
(pourcentages)

fr
Source : CE.

Le coût de la main-d’œuvre en cause

La BCE suit de près la croissance des salaires, car elle maintient les prix des services à un niveau élevé. L’inflation des services – une composante clé du panier de consommation, puisqu’elle en représente plus de 40 % – a fortement augmenté en 2022. Étant donné que les coûts salariaux pèsent lourd dans la structure globale des coûts du secteur des services, ils sont en partie responsables de l’inflation élevée et tenace qu’on y observe. D’autres éléments jouent également un rôle, comme la réaction différée à l’accroissement général des coûts. En Belgique, par exemple, les prix de certains services sont automatiquement indexés (loyers, contrats d’assurance, etc.). Malgré un niveau historiquement élevé, le pic de l’inflation dans le secteur des services est passé. 

La croissance des salaires est exceptionnellement forte dans la zone euro depuis 2023. Elle a affiché 4,6 % en moyenne cette année-là et a encore grimpé au premier trimestre 2024 pour atteindre 5 %. Les travailleurs exigent en effet une compensation pour les vives élévations de prix auxquelles ils ont dû faire face. Les tensions sur le marché du travail, avec des entreprises qui peinent à trouver des travailleurs, les ont aidés à obtenir gain de cause. Dans la zone euro, les augmentations de salaires sont en grande partie le fruit de négociations, un processus qui prend du temps. Les accords salariaux y sont conclus pour une période de deux ans en moyenne. De ce fait, de nouvelles négociations salariales peuvent avoir lieu dans certains secteurs longtemps après un pic d’inflation. C’est pourquoi la BCE ne s’est pas trop inquiétée de voir la hausse des salaires se poursuivre en 2024, considérant de telles fluctuations comme « normales » compte tenu du processus de formation des salaires.

Et en Belgique ?

Chez nous, le processus est différent. L’indexation des salaires est automatique pour la quasitotalité des travailleurs et les augmentations salariales ne peuvent se négocier qu’au-delà de l’indexation (ce qu’on appelle les hausses des salaires réels). La poussée des salaires s’est donc amorcée beaucoup plus tôt en Belgique et y a pris de plus grandes proportions. Elle se chiffrait à 9,1 % au premier trimestre 2023 et a ensuite dégringolé à 2,5 % début 2024. La croissance des salaires dans la zone euro devrait rester élevée plus longtemps, tandis qu’en Belgique, elle continuerait à ralentir, glissant même sous son niveau à long terme.

Croissance des salaires et inflation des services
(croissance annuelle, pourcentages)

fr
Source : CE.

Pas de spirale salaires-prix

L’élévation des salaires qui résulte de l’inflation peut à son tour provoquer un « deuxième tour » d’inflation. Une spirale salaires-prix peut alors s’enclencher, les uns et les autres s’entraînant continuellement à la hausse. Tout porte à croire qu’une spirale incontrôlée a pu être évitée cette fois-ci, ce que l’on doit en partie au recul sensible des prix de l’énergie en 2023 par rapport à l’année précédente. Par ailleurs, les entreprises ont partiellement absorbé les hausses des coûts à l’aide de leur marge bénéficiaire. 

Les prix des services, composante persistante de l’inflation, sont donc l’une des raisons pour lesquelles la baisse des taux d’intérêt pourrait être plus lente que leur hausse en 2022-2023. Comme l’a écrit dans son blog la présidente de la BCE, Christine Lagarde : le chemin à parcourir vers une inflation stable sera long et « le voyage ne se fera peut-être pas sans encombre ». Il faudra du temps et faire preuve de prudence avant que toutes les composantes de l’inflation (y compris celle des services) ne se stabilisent. 

 

Le blog de Christine Lagarde, présidente de la BCE, intitulé « Pourquoi nous avons ajusté les taux d’intérêt » est à lire ici.

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