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Les hausses de prix observées en Belgique sont-elles dictées par l’appât du gain ?

Inflation
Le terme « greedflation » (« cupideflation » en français) est un mot-valise formé par la contraction des mots « greed » (cupide) et « inflation ». Il décrit la pratique des entreprises consistant à gonfler leurs prix dans le but d’augmenter leurs profits de façon disproportionnée. Ce procédé fait peser un risque tant sur la stabilité des prix que sur l’harmonie sociale. Notre étude des entreprises belges ne met pas en lumière d’indices clairs que les hausses de prix observées en 2022 étaient motivées par un élargissement opportuniste des marges bénéficiaires.

Le terme « greedflation » a vu le jour dans le contexte d’inflation élevée qui a caractérisé 2022. L’inflation a d’abord été alimentée par la flambée des prix de l’énergie, mais elle s’est ensuite rapidement propagée à mesure que d’autres coûts grimpaient également. Les hausses de prix sont devenues « normales » en ce qu’elles ont le plus souvent été acceptées par les clients. La greedflation décrit plus spécifiquement l’opportunité que l’envol soudain et généralisé des prix offre aux entreprises d’augmenter leurs prix au-delà du niveau justifié par l’escalade de leurs propres coûts. Elle traduit donc une situation dans laquelle un comportement opportuniste des entreprises contribuerait aux pressions inflationnistes.

Pas de greedflation généralisée en Belgique en 2022

Lorsque les coûts s’alourdissent, les entreprises ont tendance à augmenter leurs prix, dans le but de protéger leurs marges bénéficiaires. La grande question est de savoir si les entreprises ont relevé leurs prix plus qu’elles ne le devaient afin de maintenir ces marges[1].

Comment savoir si cela a été le cas en Belgique ? Là où la plupart des études s’appuient sur un indicateur macroéconomique (le taux de marge) pour évaluer la greedflation, notre analyse repose sur des données collectées au niveau des entreprises. Nous en avons analysé environ 105 000 ; nous avons examiné leurs ventes et leurs coûts, c’est-à-dire les dépenses en intrants intermédiaires et en salaires. Si la progression des ventes est supérieure à celle des coûts, cela signifie que l’entreprise a gonflé ses prix plus qu’il ne le fallait pour couvrir la hausse de ses coûts et préserver ses marges. En revanche, si la croissance des ventes est inférieure à celle des coûts, il faut en conclure que l’entreprise a augmenté ses prix mais pas ses marges.

Le graphique 1 illustre la relation entre l’évolution des ventes et celle des coûts dans plusieurs secteurs de l’industrie manufacturière et des services. Lorsqu’un secteur se situe au‑dessus de la diagonale, cela signifie que ses ventes ont progressé plus rapidement que ses coûts. Comme on peut le voir, si elles ont fortement varié d’un secteur à l’autre, les hausses des coûts ont généralement été plus prononcées dans l’industrie manufacturière que dans les services. La plupart des entreprises n’ont pas été en mesure de répercuter l’alourdissement de leurs coûts sur leurs prix, comme l’atteste le fait qu’une majorité d’entre elles se situent sous la diagonale. Dans l’ensemble, ces constatations suggèrent qu’il n’y a pas eu de greedflation généralisée en Belgique en 2022

Graphique 1 : Dans la plupart des secteurs, la hausse des coûts a dépassé celle des ventes en 2022
(pourcentages d’augmentation des ventes et des coûts par secteur)

Chart 1

Note : Sur la base d’une analyse portant sur 105 000 entreprises belges issues d’une centaine de secteurs. Seules celles employant du personnel ont été prises en compte. Chaque bulle représente un secteur. Le diamètre de la bulle reflète la taille du secteur.

La hausse des coûts des intrants a alimenté les augmentations de prix

Si les marges des entreprises ne se sont pas élargies, quels ont été les moteurs des hausses de prix observées en 2022 ? Ont-elles été induites par le renchérissement des matériaux et des services intervenant dans le processus de production ou plutôt par le relèvement des salaires ? Le graphique 2 illustre la progression du ratio des ventes par travailleur, que nous considérons comme un bon indicateur de la croissance réelle des prix. Le graphique présente une ventilation de l’évolution du ratio en intrants, salaires et marges.

Dans l’industrie manufacturière belge, les prix ont sensiblement augmenté en 2022. Dans le prolongement des constatations qui précèdent (graphique 1), la contribution des marges (représentée par la barre grise) a été négative dans une majorité de secteurs. Les marges n’ont progressé que dans une poignée d’entre eux, tels les « grains » et la « sidérurgie ». En réalité, le principal facteur de hausse des prix a été l’alourdissement des coûts des intrants (barre bleue), suivi dans une bien moindre mesure par la croissance des salaires (barre orange).

Des élévations de prix généralisées ont également été observées dans les secteurs des services en 2022, même si elles ont été nettement moins prononcées que dans l’industrie manufacturière. Les marges se sont repliées dans la quasi-totalité des secteurs des services, à l’exception de quelques-uns, tels le « transport maritime » et l’ « hébergement ». L’effet des salaires a été plus important dans les services puisque la main-d’œuvre représente traditionnellement une part plus grande des coûts totaux. Les coûts des intrants n’en ont pas moins joué un rôle majeur dans la poussée des prix. Si la recherche excessive de profits, ou greedflation, avait été une pratique répandue en Belgique, nous verrions de nombreuses barres grises positives, ce qui n’est pas le cas.

Graphique 2 : La contribution des marges aux hausses de prix a été essentiellement négative
(décomposition de la variation des ventes par travailleur en intrants, salaires et marges sur la période 2021-2022, contribution en points de pourcentage)

Chart 2


Chart 3

Note : Nous n’avons pas observé les prix de vente réels des entreprises et les avons dès lors estimés en divisant les ventes totales par le nombre de salariés. La méthode de calcul détaillée peut être consultée dans un document technique conjoint.

 

Nos résultats indiquent que les hausses de prix observées en Belgique en 2022 ne découlent pas d’un gonflement des marges. Ce constat contraste avec les messages qui ont circulé dans les médias[2], une différence qui peut s’expliquer de plusieurs façons. Premièrement, la Belgique est un cas unique en son genre en raison de son système d’indexation automatique des salaires. Ce mécanisme restreint la capacité des entreprises belges d’élargir significativement leurs marges, du moins à court terme. Deuxièmement, notre analyse s’est concentrée spécifiquement sur les données de 2022 plutôt que sur les tendances des années précédentes[3].

Notes

Une note technique apporte de plus amples informations sur les données et sur la méthodologie utilisées aux fins de cette étude.

 

[1] Dans cet article, le terme « marges » désigne les bénéfices exprimés en pourcentage des ventes. Les bénéfices exprimés en euros peuvent également grimper, comme n’importe quel autre facteur économique, tels les salaires et les dépenses publiques, en particulier en période de forte inflation. Toutefois, nous ne considérons pas les bénéfices en euros, qui sont une valeur nominale, mais plutôt le ratio bénéfices/ventes. Dans la pratique, ce concept neutralise la taille de l’entreprise et constitue une mesure « réelle » plutôt que « nominale ».

[2] Cf. également le blog de la Banque centrale européenne, « How tit-for-tat inflation can make everyone poorer ».

[3] Une étude distincte conduite aux États-Unis a montré que l’augmentation des marges n’avait pas entraîné l’inflation à la hausse en 2022, mais bien en 2021. 

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