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Les rouages de la politique monétaire

10 juillet 2024
Politique monétaire
Même si elle a été peu médiatisée, la décision de la BCE d’adapter le cadre pour la mise en œuvre de la politique monétaire entraînera des changements fondamentaux.

Au sein de l’Eurosystème, les décisions de politique monétaire se prennent généralement selon un schéma bien défini. Toutes les six semaines, le Conseil des gouverneurs de la BCE, dans lequel siège le gouverneur de la BNB, examine si l’orientation de la politique monétaire est toujours appropriée ou si elle doit être ajustée. Le principal fil conducteur à cet égard concerne la stabilité des prix, définie comme une hausse annuelle de l’inflation dans la zone euro de 2 % à moyen terme. Si un changement de cap s’avère nécessaire, le Conseil des gouverneurs va recourir à sa panoplie d’instruments de politique monétaire, comme les différents types de taux d’intérêt, les opérations de crédit ou les programmes d’achats. La BCE met ces instruments en œuvre pour doser la quantité souhaitée de liquidités et piloter les taux à court terme du marché monétaire (cf. infra).

La politique monétaire, qu’est-ce que c’est?

La politique monétaire est l’ensemble des décisions prises par les banques centrales pour influer sur la disponibilité et le prix de la monnaie (le taux d’intérêt) dans une économie. Les banques centrales et la BCE ne décident bien entendu pas directement si les prix diminuent ou augmentent, mais la politique monétaire met à leur disposition tout un éventail d’instruments leur permettant d’agir indirectement sur l’inflation.

Aux aguets

Toutes ces décisions sont minutieusement résumées dans un communiqué de presse publié à 14h15 précises. Chaque mot de ce communiqué de presse est décortiqué par les acteurs des marchés financiers, qui procèdent également à une lecture entre les lignes. Une demi-heure plus tard, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, tient une conférence de presse soigneusement orchestrée devant un parterre de journalistes financiers. Là encore, les acteurs des marchés sont aux aguets. Au bout d’une heure, Madame Lagarde se retire et le calme peut revenir.

Lorsque Madame Lagarde quitte la tribune, nous retroussons nos manches et nous entamons notre boulot de « plombiers monétaires ».

 

Le département Marchés financiers de la BNB suit lui aussi la conférence de presse avec attention. En effet, les décisions prises de manière centralisée par le Conseil des gouverneurs doivent être mises en œuvre de façon décentralisée par les banques centrales nationales (BCN). Ce sont donc les BCN qui fournissent les liquidités nécessaires à leurs contreparties au travers de différents canaux. Lorsque Madame Lagarde quitte la tribune, nous retroussons nos manches et nous entamons notre boulot de « plombiers monétaires ».

Le cadre opérationnel de la politique monétaire

Même si elle ne sera mise en œuvre que très progressivement, cette décision aura des répercussions sur la taille et sur la composition du futur bilan de l’Eurosystème (et donc sur celui de la BNB).

Le 13 mars 2024, la BCE a publié sur son site internet une déclaration du Conseil des gouverneurs dans laquelle elle annonçait des « Modifications du cadre opérationnel pour la mise en œuvre de la politique monétaire ». Ces modifications portent sur le choix des instruments de politique monétaire et sur la manière dont la politique monétaire sera conduite à l’avenir. L’objectif premier de la stabilité des prix demeure néanmoins intact.

Cette publication n’a guère été relayée dans la presse non financière. Il s’agit pourtant de changements fondamentaux dans la manière dont la BCE va mener la politique monétaire à l’avenir. Même si elle ne sera mise en œuvre que très progressivement, cette décision aura des répercussions sur la taille et sur la composition du futur bilan de l’Eurosystème (et donc sur celui de la BNB).

 

Un peu d’histoire

Qu’est-ce qui a été décidé exactement et pourquoi fallait-il procéder à des modifications ? Un plongeon dans l’histoire de notre jeune monnaie unique éclaircira quelque peu les rouages de cette plomberie monétaire et sa kyrielle d’acronymes.

Les réserves de banque centrale sont des avoirs que les établissements de crédit détiennent auprès de leur BCN. Ces réserves sont les actifs les plus sûrs et les plus liquides de l’économie. Les établissements de crédit ont besoin de ces réserves à fois pour remplir leurs obligations de réserves obligatoires imposées par l’Eurosystème et pour honorer leurs obligations de paiement. Ces réserves occupent également une place de premier plan dans les réserves de liquidités de nombre d’établissements de crédit.

Le taux à court terme du marché monétaire, qu’est-ce que c’est?

Le taux à court court terme du marché monétaire (reflété depuis 2019 par l’€STR et, avant cela, par l’Eonia) est le taux auquel les établissements de crédit se financent au jour le jour.

 

Dans les premières années qui ont suivi l’introduction de l’euro, l’Eurosystème opérait dans un système dans le cadre duquel les réserves de banque centrale demeuraient limitées (scarce reserve system ou corridor system). Les réserves de l’Eurosystème étaient tout juste suffisantes pour répondre aux besoins de liquidités totaux des banques. De cette manière, le taux du marché monétaire à court terme fluctuait dans les limites du corridor formé par les taux d’intérêt des deux facilités permanentes de l’Eurosystème : la facilité de prêt marginal et la facilité de dépôt.

Ces deux facilités permanentes (d’une durée d’un jour) sont quotidiennement mises à la disposition des contreparties. D’une part, les banques commerciales ont ainsi la possibilité de déposer leurs liquidités excédentaires auprès de la banque centrale. Cette facilité de dépôt permet donc aux contreparties de déposer des liquidités auprès de l’Eurosystème en fin de journée. D’autre part, la facilité de prêt marginal permet aux établissements de crédit d’obtenir des liquidités à très court terme moyennnant des garanties appropriées.

Le taux des opérations de crédit contre des garanties d’une durée d’une semaine (taux des opérations principales de refinancement) s’établissait entre ces deux taux. Il était considéré comme le principal taux d’intérêt directeur et servait de guide aux taux à court terme du marché monétaire. Le bon fonctionnement du marché interbancaire permettait une répartition harmonieuse des réserves de banque centrale, ce qui se traduisait par un recours limité aux facilités permanentes.

 

La politique monétaire de la BCE évolua progressivement d'un système de corridor vers un système de plancher axé sur l'offre, dans lequel les taux courts de marché s'ancrent autour du taux de la facilité de dépot.

Excédent de liquidités (milliards d'euros, échelle de droite)
Source: BCE

DFR = taux d’intérêt de la facilité de dépôt
MLF = taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal
MRO = taux d’intérêt des opérations principales de refinancement
Eonia/ESTR = taux à court terme du marché monétaire

La crise financière mondiale de 2008 a mis fin à ce paradigme. La méfiance mutuelle entre les établissements de crédit a asséché le volume échangé sur le marché interbancaire, alors que les banques centrales abaissaient fortement les taux d’intérêt directeurs. Toutefois, comme l’inflation a ensuite obstinément campé sous l’objectif visé des 2 %, de nouvelles mesures s’imposaient.

Gardant à l’esprit la devise d’Hippocrate selon laquelle « Les temps désespérés appellent des mesures désespérées », le Conseil des gouverneurs a mis en place une série d’instruments de politique monétaire non conventionnels. L’Eurosystème s’est lancé dans des achats à grande echelle d’actifs, participant à une flopée de programmes d’achats et lançant de nouvelles opérations de refinancement à plus long terme, et ce à des conditions attractives pour les établissements de crédit.

 

La politique monétaire a de facto basculé d’un « système de corridor » vers un « système de plancher axé sur l’offre », dans lequel le système bancaire voyait affluer beaucoup plus de liquidités qu’il n’en demandait.

L’éclatement de la pandémie de COVID19 en mars 2020 a donné un coup d’accélérateur à cette dynamique et des liquidités ont été massivement injectées dans le système bancaire par l’intermédiaire des nouveaux circuits monétaires. Cette abondance de réserves de banque centrale a eu pour effet d’entraîner le taux du marché monétaire à court terme vers le plancher du corridor. Dans la pratique, l’€STR est même tombé quelques points de base en deçà du taux de la facilité de dépôt, reflétant la marge d’intermédiation (sorte de commission de courtage) que les banques facturent lorsqu’elles empruntent des liquidités à des intervenants du marché qui ne disposent pas d’un accès direct à la facilité de dépôt de l’Eurosystème, tels que les fonds de pension ou les gestionnaires d’actifs. Dans ce contexte, il est souvent fait référence à un « leaky floor » (comprenez un plancher qui fuit), une terminologie un peu malheureuse à la lumière de notre métaphore de la plomberie.

Le taux de la facilité de dépôt a dès lors pris le relais de celui des opérations principales de refinancement en tant que taux directeur phare. La politique monétaire a de facto basculé d’un « système de corridor » vers un « système de plancher axé sur l’offre », dans lequel le système bancaire voyait affluer beaucoup plus de liquidités qu’il n’en demandait.

Une boîte à outils monétaire remaniée

Lorsque l’inflation s’est emballée à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, après une longue période de faible inflation, les banques centrales du monde entier ont changé de tactique. Elles ont sensiblement relevé les taux directeurs en peu de temps et fermé le robinet des liquidités. L’excédent de liquidités au sein de la zone euro a culminé à 4 700 milliards d’euros à la mi-2022. Depuis, il a constamment reflué. Si le remboursement des prêts TLTRO a joué à cet égard, c’est également le cas des obligations achetées par l’Eurosystème ces dernières années arrivant à échéance.

Dans le contexte de cette « normalisation » et compte tenu de l’évolution de l’environnement du marché, il s’est posé la question de savoir comment mener au mieux la politique monétaire dans l’Eurosystème et quels outils utiliser pour y parvenir. Une actualisation du cadre opérationnel s’imposait.

Après mûre réflexion et au vu de l’évolution de l’environnement, le Conseil des gouverneurs a opté pour un « demand-driven floor system » (autrement dit un système de plancher axé sur la demande). Plutôt que d’inonder le système bancaire de réserves comme dans un dispositif de plancher axé sur l’offre, ou de revenir à un régime où les réserves restent rares comme dans le système de corridor traditionnel, le volume de liquidités fournies est déterminé par la demande réelle de liquidités émanant des banques.

Dans un système de plancher axé sur la demande, le volume de liquidités fournies est déterminé par la demande réelle de liquidités émanant des banques.

À cet effet, le Conseil des gouverneurs considère à nouveau que les opérations principales de refinancement d’une durée d’une semaine et les opérations de refinancement à plus long terme d’une durée de trois mois ont un rôle plus central à jouer. Comme les années précédentes, ces opérations de crédit contre des garanties seront effectuées moyennant une allocation intégrale des soumissions. La quantité de liquidités fournies est donc fonction de la demande des contreparties (demand-driven).

De plus, à partir du 18 septembre 2024, le prix des opérations principales de refinancement d’une durée d’une semaine sera ajusté de manière à ramener de 50 à 15 points de base le différentiel de taux d’intérêt vis-à-vis de la facilité de dépôt. Ce resserrement de l’écart de taux d’intérêt encouragera les soumissions au titre des transactions hebdomadaires, de sorte que les taux du marché monétaire à court terme devraient se rapprocher de celui de la facilité de dépôt.

Cela permet d’ancrer ce dernier en tant que principal taux directeur (système de plancher). Lorsque le bilan de l’Eurosystème recommencera à croître durablement, le lancement d’opérations de refinancement à plus long terme et la mise en place d’un portefeuille structurel d’obligations contribueront aussi largement à répondre aux besoins de liquidités du secteur bancaire.

Le personnel du département Marchés financiers de la BNB est d’ores et déjà fin prêt à mettre en pratique le cadre opérationnel révisé de la politique monétaire. Qui ne trépignerait pas à l’idée de se servir de ses nouveaux outils ?

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