Quelle est l’incidence du nouveau cadre budgétaire européen sur les finances publiques de la Belgique ?

Article publié dans la Revue économique de 2024

Un nouveau cadre budgétaire européen a vu le jour en 2024. Il remplace les règles précédemment en vigueur, jugées trop complexes et insuffisamment respectées. Quels sont les éléments de ce nouveau dispositif réglementaire ? Répond-il aux objectifs poursuivis par la réforme (simplification, transparence accrue, responsabilisation des États membres, respect des règles) ? Quelles en sont les implications pour la politique budgétaire en Belgique dans son ensemble ? Au sein de notre pays, comment répartir les objectifs européens entre le niveau fédéral et les différentes entités fédérées ? Quels sont les défis budgétaires qui en découlent?

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Un nouveau cadre budgétaire européen nécessaire et attendu depuis longtemps

Depuis les crises du COVID-19 et de l’énergie, les risques pesant sur la soutenabilité des finances publiques de plusieurs pays européens, dont la Belgique, la France et l’Italie se sont sensiblement alourdis. Ces trois pays font face à un ratio d’endettement public élevé (plus de 100 % du PIB) et des déficits budgétaires importants (environ 5 % du PIB), de sorte que le ratio d'endettement continuera de s’accroître dans les années à venir également.

Un cadre budgétaire, qui comprend notamment un ensemble de règles stipulant que le déficit budgétaire ou le taux d'endettement ne peuvent pas dépasser un certain niveau, semble nécessaire pour imposer aux pouvoirs publics une discipline suffisante et pour garantir de façon progressive la viabilité de leurs finances publiques. En l’absence de cette discipline, les pays risquent d'attendre le jugement des marchés financiers quant à la viabilité, lesquels se sont avérés, par le passé, réagir plutôt par à-coups.

L’Union européenne est parvenue à un accord sur un nouveau cadre budgétaire européen en 2024. Cela s’imposait après que le précédent cadre avait été suspendu de 2020 à 2023 en raison des crises du COVID-19 et de l’énergie et que la Commission européenne avait déjà jugé, avant ces crises, que le cadre existant était imparfait et ne bénéficiait pas d'un soutien et d'une mise en œuvre suffisants.

Les plans à moyen terme et les rapports d'avancement sont au cœur du cadre réformé

Les plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme constituent l'élément central du cadre budgétaire européen réformé. Pour la Belgique, ce plan s'étend sur cinq ans et restera inchangé pendant cette période. Il décrit la trajectoire budgétaire à suivre sur la base d'une trajectoire de référence fournie par la CE, ainsi que les investissements publics et les réformes gouvernementales sur une période d'ajustement de quatre à sept ans.

Le deuxième élément clé du nouveau cadre budgétaire européen est le rapport d'avancement. Il s'agit d’un document que les États membres doivent soumettre en vue du contrôle de la mise en œuvre des plans à moyen terme. Ce rapport doit être publié au plus tard le 30 avril de chaque année.

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Les règles budgétaires du volet préventif du cadre budgétaire européen ont été profondément remaniées

Le volet préventif réformé du cadre budgétaire européen, qui vise à prévenir le développement de situations budgétaires insoutenables, se fonde sur un objectif budgétaire sur mesure pour chaque État membre. Le nouveau système est ancré dans la viabilité de la dette, ce qui signifie que la dette doit se trouver sur une trajectoire descendante soutenable ; il vise également à promouvoir une croissance durable et inclusive.

En vue de fixer l'objectif budgétaire, l’on part d’une trajectoire budgétaire de référence que la CE envoie aux États membres affichant une dette publique supérieure à 60 % du PIB ou un déficit public supérieur à 3 % du PIB. Cette trajectoire garantit ex ante que les finances publiques respectent quatre règles différentes visant à assurer la viabilité de la dette à moyen terme. Les deux premières règles portent sur le déficit public et les troisième et quatrième sur le taux d'endettement.

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La réforme du volet correctif du cadre budgétaire européen a été de moindre ampleur

Dans le nouveau cadre budgétaire européen, les États membres de l'UE sont toujours tenus d'éviter les dettes publiques et les déficits publics excessifs. En pratique, cela signifie que les États membres ne peuvent pas dépasser les valeurs de référence de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire et de 60 % du PIB pour la dette.

Si le déficit public dépasse la valeur de référence de 3 % du PIB, la CE, comme elle le faisait déjà dans l’ancien cadre, envisagera de lancer une procédure concernant les déficits excessifs fondée sur le déficit. La trajectoire correctrice associée à cette procédure devra permettre de réduire le déficit en deçà de 3 % ou de le maintenir sous ce seuil dans le délai fixé par le Conseil Ecofin. Dans une procédure concernant les déficits excessifs fondée sur le taux d’endettement, le nouveau cadre met l’accent sur les écarts par rapport à la trajectoire budgétaire approuvée par le Conseil Ecofin. La Commission européenne envisagera de lancer une telle procédure lorsque les écarts dépassent 0,3 % du PIB par an ou, cumulativement, 0,6 % du PIB, lorsque le ratio dette publique/PIB dépasse la valeur de référence et lorsque la situation budgétaire n’est pas proche de l’équilibre ou en excédent.

Après le lancement d’une procédure concernant les déficits excessifs, les finances publiques de l’État membre font l’objet d’une surveillance renforcée de la part des institutions européennes, tandis que des exigences supplémentaires s’appliquent. Si le déficit excessif persiste, le Conseil peut infliger des sanctions, dont des amendes. Le Conseil Ecofin lève les sanctions et met un terme à la procédure concernant les déficits excessifs lorsque le déficit a été ramené sous la valeur de référence et qu’il devrait y rester, ou lorsque l’État membre a respecté la trajectoire de dépenses nettes prescrite.

À la fin de juillet 2024, le Conseil Ecofin a déclaré que la Belgique présente un déficit excessif (de même que six autres États membres de l’UE). Les recommandations du Conseil Ecofin aux États membres sont attendues dans le courant du mois de novembre et seront publiées en même temps que les avis de la Commission sur les projets de plan budgétaire.

La norme de croissance des dépenses primaires nettes constitue le seul indicateur opérationnel

Le nouveau cadre budgétaire s’articule autour d’un seul indicateur opérationnel sur lequel reposera la surveillance budgétaire annuelle de chaque État membre : la norme de croissance annuelle des dépenses primaires nettes. Cette norme, gelée pendant la période d’ajustement, sera le seul indicateur utilisé dans le nouveau cadre budgétaire. La norme est censée être une mesure des dépenses contrôlable par les pouvoirs publics. Cependant, la trajectoire de référence est initialement calculée en termes de variation du solde primaire structurel. La norme de croissance des dépenses primaires en découle.

Quelles sont les implications pour la politique budgétaire en Belgique ?

Notons d’emblée qu’à politique budgétaire inchangée[1], le solde budgétaire de la Belgique devrait se détériorer, la hausse des coûts du vieillissement et des paiements d’intérêts faisant passer celui-ci de –4,5 % du PIB à –7,2 % du PIB en 2038. Dès lors, le ratio de la dette publique devrait grimper de 105,7 % du PIB en 2024 à 130 % en 2038.

Les nouvelles règles budgétaires imposent une trajectoire budgétaire initiale pour la période 2025-2028 afin de placer les finances publiques sur une trajectoire plus durable. La période d'ajustement peut également être prolongée jusqu'en 2031 sous certaines conditions. Dans notre article, nous montrons graphiquement l'implication budgétaire de chaque règle pour une période d'ajustement de quatre ans. Selon nos simulations, la règle 3, à savoir « dette plausiblement orientée à la baisse », exige l'effort budgétaire le plus important chaque année. Par conséquent, elle constitue la trajectoire contraignante pour l'ajustement budgétaire.

L’ajustement requis auquel nous sommes parvenus correspond à un redressement annuel moyen du solde primaire structurel de 0,71 point de pourcentage du PIB sur une période de quatre ans. Dans le cas d’un ajustement sur sept ans, l’amélioration à atteindre s’élèverait en moyenne à 0,47 point de pourcentage du PIB par an. Le déficit structurel reviendrait ainsi à 1,6 % du PIB en 2028 (ajustement sur quatre ans) ou à 1,3 % du PIB en 2031 (ajustement sur sept ans).[2]

 

[1]      Pour plus de détails sur le calcul du scénario à politique budgétaire inchangée, le lecteur est prié de se référer à l'article.

[2]      Les normes budgétaires en termes de solde primaire structurel et de croissance des dépenses sont cohérentes avec celle de la HCF (voir les tableaux 5 et 6 dans leur avis 2024). Toutefois, la norme en termes de solde structurel s'écarte légèrement en raison de légères différences dans les charges d'intérêt, qui sont en partie dues à une projection du taux d’endettement plus élevé en 2024.

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Une telle amélioration du solde primaire structurel est significative mais n'est pas sans précédent en Belgique. Les consolidations des années 1980 et 1990 ont nécessité une amélioration similaire, voire plus importante. Toutefois, bon nombre des mesures budgétaires prises dans le passé ne peuvent être répétées aujourd'hui et les circonstances sont différentes.  

La norme d’évolution des dépenses primaires nettes s’obtient en traduisant la trajectoire d’ajustement budgétaire, exprimée comme la variation du solde primaire structurel, en termes de croissance des dépenses primaires nettes, selon la formule :

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Il convient de noter que cette formule suppose que les recettes publiques progressent au même rythme que le PIB potentiel nominal (ce qui est une hypothèse plausible). Lorsqu’elle est appliquée en utilisant des moyennes sur la période 2025-2028, une croissance du PIB potentiel réel de 1,3 %, un accroissement du déflateur du PIB de 2,1 %, un assainissement budgétaire requis de 0,71 point de pourcentage du PIB et un ratio de dépenses primaires de 53 % du PIB aboutissent à une norme de croissance des dépenses primaires nettes de 2,0 %. Si la période d’ajustement devait être étendue à sept ans, la norme de croissance des dépenses nettes serait de 2,5 % par an en moyenne.

Les objectifs budgétaires doivent être répartis entre les entités

La CE attend des États membres qu’ils suivent une certaine trajectoire budgétaire, sans toutefois prendre position sur sa répartition entre les différentes administrations publiques.

En Belgique, la ventilation de la norme budgétaire entre les entités ne peut être imposée par le niveau fédéral, compte tenu de l’autonomie accordée aux entités fédérées. Il appartient à la section « Besoins de financement » du Conseil supérieur des finances (CSF) de conseiller les gouvernements sur la distribution des efforts qu’ils doivent consentir individuellement. L’accord de coopération du 13 décembre 2013 a officiellement confié cette mission au CSF. Dans l’attente d’une mise à jour de cet accord, le gouvernement fédéral a mandaté le CSF pour formuler un avis sur la répartition de la trajectoire de référence proposée par la CE dans le nouveau cadre budgétaire.

Cet « Avis sur la répartition de la trajectoire de référence transmise à la Belgique par la Commission européenne pour la période 2025-2028/2031 » a été soumis et publié en juillet 2024.

La répartition de la trajectoire budgétaire de la Belgique doit garantir la soutenabilité de la dette publique de chaque entité prise individuellement. Ceci est conforme à la philosophie de la Commission européenne pour l’ensemble du pays. Il est donc logique d’envisager, dans un premier temps, une clé de répartition pour un critère de dette (hypothétique), comme l’a fait le CSF.

Quelle répartition de la dette publique entre les différentes entités permettrait de garantir la pérennité de chacune d’elles compte tenu du cadre institutionnel actuel ? En se fondant sur plusieurs critères, à savoir (a) la disponibilité de leviers budgétaires du côté des dépenses ou des recettes pour maintenir la dette sous contrôle, (b) le degré d’autonomie budgétaire, et (c) le montant de la dette héritée du passé couplé à l’accumulation limitée de la dette attendue pour les communautés et les régions, le CSF a dégagé une clé de répartition à privilégier. Cette clé postule un niveau de référence de la dette, qui est distribué à chaque entité en fonction de la part qu’elle représente dans la somme des dépenses primaires finales et des recettes propres à chaque administration publique. Cela signifie que les entités dont les dépenses primaires et les recettes propres sont plus élevées sont autorisées à détenir une dette plus importante.

Après avoir obtenu une clé de répartition optimale de la dette publique, il s’agit de répartir le solde budgétaire imposé par les autorités européennes à la fin de la période d’ajustement (en l’occurrence 2028 ou 2031). Cette opération est facilitée par la relation mathématique qui unit l’équilibre budgétaire atteint de manière répétée au niveau d’endettement visé à très long terme. Elle montre que le niveau du solde budgétaire se reflète dans celui de la dette publique à très long terme.

Par conséquent, la clé de répartition retenue pour le ratio d’endettement à long terme est utilisée pour répartir entre les entités l’objectif à court terme à atteindre en fin de période d’ajustement pour le solde structurel de l’ensemble des administrations publiques. On obtient ainsi un solde structurel normalisé par entité pour 2028/2031.

Dans une ultime étape, le solde structurel visé à la fin de la période d’ajustement est converti en une amélioration annuelle requise du solde primaire structurel, elle-même transposée en un objectif de croissance des dépenses primaires nettes.

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Il est clair que c’est le niveau fédéral qui devra consentir des efforts importants sur le front des dépenses. Que l’ajustement s’opère sur quatre ou sur sept ans, la croissance des dépenses primaires nettes devra être bien inférieure à celle attendue à politique inchangée. De fait, la croissance des dépenses devrait dépasser de 8 points de pourcentage la norme sur sept ans pour le gouvernement fédéral et la sécurité sociale en 2029.

Considérées individuellement, les entités fédérées font face à des défis d’ampleur variable. La Flandre pourrait se permettre de laisser ses dépenses primaires nettes évoluer légèrement plus vite que les projections du BFP à politique inchangée, tant à quatre qu’à sept ans. En Wallonie, tel ne serait le cas que si l’ajustement avait lieu d’ici 2031. Dans l’éventualité d’un ajustement en quatre ans, les dépenses devraient rester proches de leur niveau nominal actuel, soit 1 point de pourcentage de moins que le niveau escompté par le BFP en 2028, après l’expiration des dépenses considérables au titre du plan de relance.

L’effort budgétaire nécessaire serait beaucoup plus grand pour la Communauté française et pour la Région de Bruxelles-Capitale. Dans le scénario le plus strict (ajustement sur quatre ans), la Région bruxelloise devrait même réduire ses dépenses primaires finales de 6 % en termes nominaux. Dans le cas d’un ajustement sur sept ans, les dépenses de Bruxelles devraient demeurer inchangées en 2029, soit 10 points de pourcentage en deçà de leur croissance attendue.