Tous les chemins mènent à Paris ? Politiques d’atténuation du changement climatique dans les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre du monde

Article publié dans la Revue économique de 2023

Les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter et sont la principale cause du réchauffement planétaire. Sachant cela, quelles mesures les plus gros émetteurs adoptent-ils pour réduire leurs émissions ? Ces politiques sont-elles suffisamment ambitieuses pour maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C voire, de préférence, de 1,5°C d’ici la fin du siècle – conformément aux objectifs fixés par l’Accord de Paris ? Quels pays sont sur la bonne voie pour faire de ces ambitions une réalité et quels sont ceux qui ont encore des efforts à fournir ?

Télécharger l'article Communiqué de presse

Depuis 2019, les articles de la Revue économique sont publiés en français et en néerlandais sous forme de digests, leur version complète n’étant disponible qu’en anglais.

Digest

Notre vie quotidienne est de plus en plus impactée par le changement climatique et par les politiques élaborées par les pouvoirs publics en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Cet article donne un aperçu du contexte politique international dans lequel s’inscrivent les politiques d’atténuation du changement climatique et résume l’état actuel de ces politiques dans les plus grands émetteurs de GES du monde – la Chine, les États-Unis, l’Inde, l’UE et Japon, qui, ensemble, sont actuellement responsables de près de 60 % des émissions mondiales de GES – et au Royaume-Uni, qui est considéré comme un précurseur en matière de politique climatique.

La recherche scientifique a montré que les pires conséquences du changement climatique pourraient être évitées si nous parvenons à limiter la hausse des températures mondiales à 1,5°C d’ici la fin du siècle. Pour atteindre cet objectif, les émissions doivent culminer le plus vite possible, avant de diminuer rapidement et drastiquement par la suite, pour retomber à zéro émission nette (solde entre les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre) en 2050. En 2015, l’Accord de Paris, un traité international établissant un cadre mondial pour la politique climatique, a été conclu, lequel a depuis lors été quasi universellement ratifié, approuvé ou accepté. L’objectif principal de l’Accord de Paris est de maintenir le réchauffement climatique largement en deçà de 2°C, voire, idéalement sous 1,5°C comparativement aux niveaux préindustriels. Les parties à l’Accord sont mandatées pour soumettre et périodiquement relever à cette fin des objectifs nationaux à court terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre – ce qu’on appelle les contributions déterminées au niveau national, ci-après « les CDN » –, et ce dans le cadre d’un cycle de cinq ans. Elles sont également invitées à formuler des objectifs à plus long terme de zéro émission nette. Il convient de remarquer qu’il n’existe pas de méthodologie commune quant à la manière de formuler ces CDN ni d’année de référence commune sur la base de laquelle mesurer les réductions, ce qui complique la comparabilité des plans.

En dépit des progrès réalisés, nous ne sommes, sur la base des politiques actuelles, pas en mesure, collectivement, d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, même en tenant compte de tous les objectifs annoncés pour 2030 et de ceux à long terme (y compris ceux pour lesquels des mesures politiques n’ont pas encore été conçues). Dans un scénario très optimiste, prenant en compte toutes les politiques à court et à long termes annoncées, nous nous retrouverions, selon les projections, avec une hausse médiane de la température de 1,8°C en 2100 (cf. graphique 1). Il serait toutefois imprudent de prendre ce scénario optimiste comme point de départ et de s’abstenir d’adopter des mesures supplémentaires car les écarts entre les ambitions en matière de politiques et la mise en œuvre de celles-ci sont souvent importants dans un grand nombre de pays. Toutes les estimations indiquent clairement qu’il faut d’urgence adopter des politiques climatiques plus ambitieuses à l’échelle mondiale et mettre celles-ci en œuvre de manière résolue. En tout état de cause, il semble plus sage d’opter pour des politiques climatiques trop strictes, car celles-ci entraîneraient des coûts moindres en termes de bien-être pour la société, que pour des politiques climatiques trop laxistes.

Principaux émetteurs : ambition, combinaison et lacunes des politiques climatiques

En 2021, la dernière année pour laquelle des données complètes sur les émissions de GES sont disponibles, le plus grand émetteur mondial était la Chine (29 % du total des émissions), suivie de loin par les États-Unis (11 %), l’Inde (7 %) et l’UE27 (7 %). Dans notre vue d’ensemble, nous abordons également les cas du Japon (2 %) et du Royaume-Uni (moins de 1 % des émissions). Toutes ces juridictions ont formulé des objectifs à atteindre en 2030 en matière de CDN, avec des pourcentages de réduction et des années de référence qui varient, ainsi que des objectifs de zéro émission nette assortis d’horizons temporels différents (tableau 1). Plus particulièrement, la Chine et l’Inde ont formulé leurs objectifs de CDN en termes relatifs, à savoir en termes d’émissions exprimées en pourcentage du PIB. Compte tenu de la croissance économique rapide prévue, ces objectifs correspondent à une nouvelle augmentation des émissions de la Chine et de l’Inde en termes absolus d’ici 2030. Toutes les autres juridictions étudiées visent, quant à elles, une réduction des émissions absolues de GES à cet horizon.

De plus, il existe de grandes différences entre les pays sur le plan de la combinaison des politiques de tarification du carbone et des différents instruments non tarifaires (p. ex. les subventions aux énergies propres, les réglementations, les normes d’efficacité énergétique) qui sont déployés pour atteindre les objectifs déclarés de réduction des émissions.

À titre d’exemple, la Chine a récemment lancé un système national d’échange de droits d’émission (emissions trading scheme – ETS), qui présente un grand potentiel mais dont les effets sont limités à ce stade faute d’un plafond absolu d’émissions. Grâce à une orientation stratégique associée à des investissements massifs, à de fortes subventions et à des économies d’échelle, la Chine est désormais un acteur majeur de plusieurs chaînes de valeur vertes, dont celles des véhicules électriques et de leurs batteries. En revanche, l’approvisionnement énergétique de la Chine reste largement tributaire du charbon. Dans le même temps, la politique climatique des États-Unis s’est tournée vers l’octroi de subventions vertes et de crédits d’impôt, avec en point d’orgue la loi sur la réduction de l’inflation. L’Inde, quant à elle, tente de réduire sa grande dépendance aux combustibles fossiles en combinant des mesures de soutien aux énergies renouvelables et des amendes. L’UE dispose d’un éventail d’instruments politiques, parmi lesquels un EU-ETS dont la portée s’étend, ainsi que des réglementations et des normes pour les secteurs qui ne relèvent pas de ce système. Le Japon semble miser sur les énergies renouvelables et nucléaires, de même que sur le recours à la réglementation et aux crédits internationaux de compensation des émissions de carbone. Enfin, le Royaume-Uni aussi utilise une gamme d’instruments, suivant une approche similaire à l’UE, et dispose notamment de son propre ETS.

Pour conclure, nous pouvons faire une évaluation qualitative approximative de l’ambition et de la force de mise en œuvre des principaux objectifs de CDN des différentes juridictions (graphique 2). L’exercice appelle toutefois une importante réserve : nous nous bornons à examiner, d’une part, leurs effets sur les émissions de gaz à effet de serre, en faisant abstraction de tout argument d’équité, et, d’autre part, leur compatibilité avec l’objectif de température de 2°C.

Fort heureusement, aucun des plus grands émetteurs ne présente à la fois un manque d’ambition et de mise en œuvre au niveau de ses CDN. Cela étant, la Chine et l’Inde montrent à ce stade une ambition insuffisante pour être compatible avec une élévation des températures de maximum 2°C, si bien que les Accords de Paris seraient largement hors d’atteinte si le monde entier adoptait leurs objectifs. Parallèlement, il est attendu de ces deux États qu’ils dépassent ces objectifs relativement peu ambitieux. Le manque d’ambition affiché pourrait en partie s’inscrire dans une stratégie, en ce sens que les pays savent qu’ils seront amenés à revoir progressivement leurs ambitions à la hausse sur un cycle de cinq ans, conformément au processus des Accords de Paris. Cette situation contraste avec celles des États Unis et du Japon, où les objectifs en matière de CDN sont suffisamment ambitieux, mais où des mesures politiques et des actions plus concrètes doivent être adoptées pour les traduire dans la réalité. Le Royaume-Uni et l’Union européenne sont les seules juridictions où tant l’ambition que la mise en œuvre des politiques climatiques sont jugées compatibles avec un réchauffement climatique limité à 2°C d’ici la fin du siècle.

Axes à suivre pour la politique climatique mondiale

Plusieurs voies s’offrent aux décideurs politiques pour approfondir encore et améliorer les politiques climatiques à l’échelle mondiale.

Premièrement, il convient de mieux harmoniser la formulation des objectifs d’atténuation du changement climatique entre les juridictions, de même que de mieux mesurer les effets des politiques climatiques, ce qui inclut de cartographier la manière dont les instruments non tarifaires induisent des réductions d’émissions attendues ou réalisées.

Deuxièmement, les ambitions climatiques et leur mise en œuvre devraient être renforcées à l’échelle mondiale. Nous mettons l’accent sur trois domaines en particulier : la fixation d’un prix international du carbone ; les avancées en matière de réduction des émissions de méthane, qui devraient avoir une incidence assez rapide sur la limitation du réchauffement à court terme ; et un renforcement de la coopération internationale, par exemple, par le partage de bonnes pratiques, par le déploiement à grande échelle de technologies vertes et par le soutien aux pays en développement et émergents qui manquent de ressources.

Des motifs inhérents à l’économie politique empêchent encore souvent de revoir à la hausse les ambitions des politiques climatiques, mais les conclusions de plusieurs enquêtes récentes font état de nouvelles plutôt positives de la part de la population. Le soutien du public aux politiques climatiques semble dépendre de trois facteurs clés : l’efficacité perçue des politiques, les effets distributifs sur les ménages à faibles revenus et les pertes et bénéfices attendus pour son propre ménage. Il est donc crucial de communiquer clairement sur ces facteurs afin d’accroître le soutien politique aux mesures climatiques.